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Vrai comme Judith

Si l’expression voudrait que l’on soit « Faux comme Judas », il serait de bonne augure de rééquilibrer la balance et de proclamer l’inverse pour Judith. Car la critique de cinéma Judith Crist (1922-2012) n’était pas du genre à verser dans le journalisme consensuel afin de cirer les bottes des ‘grands hommes du grand écran’.

C’est d’ailleurs en pleine mutation du 7e art, rompant avec les conventions passées d’Hollywood, que cette dernière entame sa carrière au New York Herald Tribune dans les années 1940. Débutant en tant qu’assistante de la rédactrice en cheffe, elle devient critique de cinéma à temps plein au sein du journal, faisant partie des premières femmes aux États-Unis à occuper cette fonction dans la presse nationale. Cette ascension, elle la doit à son ton franc et acéré n’hésitant pas à qualifier Stanley Kubrick de “boy genius” après avoir vu Dr. Strangelove, or How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb (1964) pour 4 ans plus tard déclarer qu’il aurait fallu que 2001: A Space Odyssey soit deux fois plus court afin que le film puisse être à la fois “pithy and potent”! Évidemment, cette indépendance journalistique n’est pas au goût de l’élite masculine bourgeoise, surtout lorsque l’audience de Crist commence à prendre de l’ampleur. Dès lors, les critiques dit de ‘renom’ la vilipendent décriant cette dernière comme trop populiste. Mais c’est exactement pour cette raison que Judith Crist est appréciée du grand public, son écriture, qui refuse la grandiloquence creuse de ses confrères, parlant et touchant les classes populaires d’alors. Se considérant elle-même comme une “journalistic reviewer”, elle aborde les analyses filmiques comme une façon “to expand on the ‘Wow!’ or the ‘Yuck!’ a moviegoer might utter”.

À l’instar de Pauline Kael, avec qui elle avait cependant des désaccords, elle rejette les théories ‘cérébrales’ cinématographiques autant qu’elle se détourne d’auteurices tel•les que Andrew Saris ou Molly Haskell, critique féministe et autrice de From Reverence to Rape (1973). Et ne craint point d’aller contre l’establishment. En 1963, alors que Cleopatra est un succès au box-office, elle décrit le film comme “at least a major desappointement, at worst an extravagant exercice in tedium”. De plus en plus de réalisateurs, et de distributeurs, redoutent la “journaliste populiste” et des menaces visant à la bannir des avant-premières circulent. Mais sa notoriété est déjà trop grande et elle se voit offrir un poste de chroniqueuse régulière dans l’émission télévisée Today de 1964 à 1973. TV Guide s’empresse également de rallier ce phrasé détonnant à ses colonnes. L’hebdomadaire est cependant secouée par une avalanche de lettres amères en 1983 lorsque la journaliste est remerciée. Un afflux si conséquent que la rédaction la réembauche seulement trois semaines plus tard. Une rédaction à la hauteur du talent de Judith Crist qui a le sens de la formule. Concernant The Godfather (1972), elle déclare “You can’t say the trash doesn’t get first-class treatment”. Et écrit avec beaucoup d’espièglerie que “The film works to such horrifying effect, that you’re bound to suspect that producers Richard Zanuck and David Brown were secretly financed by the Swimming Pool Manufacturers of America” à propos de Jaws à sa sortie en 1974.

Mais qu’importe la malice de la journaliste et l’engouement du public, l’entertainment frissonne et n’hésite pas à la calomnier. Le réalisateur Billy Wilder déclare “Inviting her to review one of your pictures is like inviting the Boston Strangler to massage your neck” après la critique assassine de Judith Crist sur le film Some Like It Hot (1959), tandis que qu’un autre la renomme Judas Crist. Quand la menace est féminine, tout de suite elle tombe du côté perfide du mythe. À ces pleurnicheries, Judith Crist oppose sa vision toujours plus tranchante du cinéma n’hésitant pas à mettre en pièce des triomphes comme The Sound of Music (1965) arguant sur un ton satirique : “The movie is for the 5-to-7 set and their momies who think the kids aren’t up to the stinging sophistication and biting wit of ‘Marry Poppins’’”.

Loin d’être policée à la Poppins, considérée comme la journaliste la plus suivie de part le monde à son époque, Judith Crist n’a eu de cesse d’ébranler le milieu du cinéma. Et si les petits hommes du grand écran la comparaient à Judas ou à un serial killer, il apparaît que la bonne figure pour lui rendre femmage n’est même pas Jésus Christ mais Athéna, déesse des arts ayant mené bien des combats.



Sources

Douglas Martin, « Judith Crist, a Blunt and Influential Film Critic, Dies at 90 », The New York Times, 7 août 2012 Ronald Bergan, « Judith Crist obituary », The Guardian, 10 août 2012

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