top of page

Les Arcs Film Festival

Article pour Le Bleu du Miroir

Vendredi 21 décembre : Mais où est Mug ?

Depuis cinq jours, nous bravons la neige au cœur du festival du cinéma européen des Arcs, une traque cinématographique qui vient de prendre fin. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette dixième édition était riche, avec des propositions de qualité et une programmation variée allant de la science fiction au drame socio-culturel, osant même une dose de fantastique, et sans fausse note contrairement à l’année dernière où certains films n’avaient pas leur place dans la sélection officielle selon nous.

Avant la cérémonie de clôture, L’Homme fidèle de Louis Garrel a su nous surprendre agréablement avec un triangle amoureux qui déjoue les codes de la comédie romantique. Louis Garrel est formidable dans son rôle d’homme passif baladé par Laetitia Casta et Lily-Rose Depp, toutes deux formidables également. Changement d’ambiance totale avec In Fabric de Peter Strickland qui nous plonge dans un univers baroque déjanté où une robe rouge sème la terreur. Le scénario est audacieux et absurde, la photographie à la limite du sensuel. Hélas, le film traine en longueur et, malgré la fantaisie et l’originalité de la mise en scène, finit par perdre notre attention.

Une attention qu’a su se réveiller en fin de journée avec le palmarès tant attendu de ce dixième festival. Aux commandes du jury, le réalisateur suédois Ruben Ostlund, à qui l’on doit Snow Therapy ou encore The Square, épaulé par les comédiennes Charlotte le Bon et Clémence Poésy, l’acteur Alex Lutz, le musicien Jean-Benoît Dunckel, moitié du duo Air, le chef opérateur Lukasz Zal et la réalisatrice Jasmila Zbanic. Un jury de renom qui a misé sur davantage de variété cette année dans sa remise de prix et ce n’est pas pour nous déplaire.

À l’issue de toutes ces émotions, Le mystère Henri Pick de Rémi Bezançon était présenté pour la première fois. Adapté du roman éponyme de David Foenkinos, le film offre un thriller littéraire enthousiasmant, amené par le duo détonnant Fabrice Luchini et Camille Cottin. Mais nous en rediscuterons plus longuement lors de sa sortie en mars prochain…

Jeudi 20 décembre : du piano, de la chatte & un chien

Dernier jour avant que ne se clôture ce riche 10e anniversaire des Arcs, avec un programme pour le moins éclectique. Il y a eu une lutte introspective avec Romain Duris dans De battre mon cœur s’est arrêté, un jeu de pouvoir avec Yorgos Lanthimos pour La favorite et une ballade divertissante chez Mario Piperides avec Smuggling Hendrix en compétition officielle.

Masterclass avec Romain Duris

Invité d’honneur de cette dixième édition, Romain Duris a sélectionné pour le festival trois longs-métrages de sa filmographie à présenter au public. Dans ce trio cinématographique personnel se trouve Nos batailles, dernier film en date de l’acteur, de Guillaume Senez ainsi que L’Arnacœur de Pascal Chaumeil. C’est à la projection De battre mon cœur s’est arrêté que nous avons assisté.

Sorti en 2005 et réalisé par Jacques Audiard, le film raconte les errances intérieures de Tom, enfermé dans son rôle d’agent immobilier véreux suivant les traces de son père, mais aspirant à une vie de piano comme l’eu fait sa mère.

Le récit explore les relations, parfois complexe, entre un père et un fils, mais aussi une forme d’acceptation du deuil, quelqu’il soit, pour finalement tenter d’aboutir à l’accomplissement intime, du moi profond. Un voyage initiatique vers la découverte de soi mis en scène de manière thriller dans lequel Romain Duris et Niels Arestrup fascinent. L’authenticité écorchée des personnages éclaboussent les plans séquences, autant que la pudeur de certaines scènes envahie l’espace.

Romain Duris déclarait après la projection « j’aime les acteurs qui se permettent d’être sensibles, quand quelque chose dans les yeux brillent ». Une sensibilité à laquelle l’artiste est lui-même réceptif, en témoigne ce film brillant et touchant malgré la violence.

The Favorite

Dans un autre registre, mais toujours en proie à des luttes, les personnages de La Favorite s’adonnent à des jeux de pouvoir bien perfides. À la cour d’Angleterre au XVIIIe siècle, lady Sarah entretient des rapports privilégiés avec la reine Anne jusqu’à l’arrivé d’Abigail. L’échiquier est alors redéfini, une bataille débute.

Présenté en Playtime, cette Favorite du réalisateur Yorgos Lanthimos enchante par son ton désopilant et son trio féminin remarquable. Avec Olivia Colman en dirigeante orgueilleuse, Emma Stone et Rachel Weisz en dames intéressées, le triangle affectif est délectable et mouvementé, autant que les passassions de pouvoir où ce sont les femmes qui tirent les ficelles et portent leurs ovaires. D’ailleurs, le réalisateur ne se prive pas d’agrémenter les délicates robes d’époques de phrasés bien salaces. Une touche fantasque que l’on retrouve dans le découpage du film et certaines vue en fisheye, pour un ensemble burlesque détonnant.

Et si on aimerait donner raison à Fabien Randanne, qui a signé la critique pour Le Bleu du Miroir, qui espère que ce film touchera un plus large public, il semblerait que cela ne soit pas gagné auprès de la jeune génération qui n’a eu de cesse de s’offusquer tout le long de la projection. Le film est pourtant délicieux, leur réaction aussi !

Smuggling Hendrix

Bien moins osé, le premier long-métrage de Marios Piperides narre les mésaventures de Yiannis à la recherche de son chien Jimi au cœur de Nicosie, ville coupée en deux par une frontière entre les quartiers turcs et grecs.

Trois jours avant son départ pour la Hollande, Yiannis, qui tente de fuir ses problèmes d’argent, ses difficultés à oublier son ancien amour Kika, laisse échapper le chien de cette dernière dont il a la garde du côté turc. Une course d’orientation s’improvise, mais une fois Jimi retrouvé, Yiannis est confronté à l’absurdité des lois européennes qui interdit « importer un animal d’un territoire non-européen sur le sol grec ». Se met en place tout un stratagème de contrebande pour ramener le brave cabot, plan qui n’aura de cesse d’échouer.

C’est avec une certaine légèreté et quelques passages cocasses que Mario Piperides nous embarque dans cette aventure canine qui fera se rencontrer des Chypriotes bien différents. Mais le réalisateur ne va pas au-delà, faisant de Smuggling Hendrix un divertissement plaisant, pour un moment agréable mais qui ne marque pas les esprits.

Mercredi 19 décembre : quête de soi & regard des autres

La poésie fut au rendez-vous pour cette troisième journée de festival avec la projection de L’Animale et Mug. Tous deux présentés en sélection officielle, les films explorent l’identité de l’humain et son rapport à l’autre à travers un doux lyrisme. L’envoutement exercé par Mug en fait le premier coup de cœur de la compétition, tandis que L’Animale répond aux attentes.

L'Animale

Sur le papier, le second film de Katharina Muckstein avait suscité l’intérêt. Mati, adolescente revêche préférant faire de la moto avec ses amis que de se mettre du vernis, se retrouve perturbée par une nouvelle amitié avec Carla.

Interrogation sur l’identité sexuelle, construction de soi, passage de l’adolescence à l’adulte ; des thèmes maintes fois exploités au cinéma mais qui demeurent pertinents quand le scénario et la mise en scène les servent avec finesse. Ce que fait avec douceur, et parfois brutalité, L’Animale. Les questionnements vont même au-delà, la réalisatrice parle de la difficulté d’aimer à travers la figure du meilleur ami Seb, mais aussi du couple parental dysfonctionnel. Il est aussi question de genre, de masculin/féminin avec la désuète robe rose devenue spectre archaïque de la féminité.

Dans cette quête pour trouver sa place, on assiste au développement de Mati, incarnée avec justesse par Sophie Stockinger. Un cheminement personnel amené avec soin tout comme l’esthétique du film où la nature, parfois métaphorique, est magnifiée par la lumière tandis que la musique, matière quasi palpable, vient en contre point. Katharina Muckstein ne révolutionne pas le genre mais offre un film agréable et intime.

Mug

Autre film avoir retenu notre attention lorsque nous avons découvert la sélection : Mug. Un intérêt transformé en coup de cœur à l’issue de la projection, pour ce long-métrage polonais qui séduit tant par son récit que par sa réalisation. Aux commandes de ce petit bijou naturaliste, Malgorzata Szumowska qui réussit à magnifier un drame offrant un hymne à l’espoir avec un humour décalé.

Jacek habite une petite ville de Pologne, partage son temps entre sa copine et son chien, fait figure de sataniste dans ce pays très conservateur en vouant une adoration pour le heavy métal et participe au chantier de ce qui est censé devenir la plus haute statut de Jésus au monde. C’est alors qu’il chute. Un accident qui le défigure, puis une reconstruction pour laquelle il est à la fois idolâtré, à la fois délaissé.

Cette comédie noire interroge, plus que son propre rapport au corps, le regard d’autrui sur le corps des autres. Comment le beau et le laid sont perçus, où se trouve réellement le merveilleux. Le film adopte un effet visuel intéressant où le déformant devient poésie grâce à un flou variable. Un geste marqué qui va de concert avec la musique, personnage identitaire à part entière offrant de véritables moments de grâce, une grâce dont Mateusz Koscukiewicz fait sienne. Même défiguré, l’acteur injecte une chaleur à l’écran qui touche, il irradie et communique une sorte d’humanité qui émeut. Tandis qu’autour de lui, la communauté, si pieuse, se ne montre pas si douce. La réalisatrice sonde également la conscience communautaire religieuse, sans jugement et avec un humour bien senti.

Mug saisit par sa beauté, par son discours, par sa légèreté, raisons pour lesquelles nous reviendrons plus amplement sur ce film une fois le festival terminé et en espérant, même si la compétition n’est pas encore finie, qu’il sera récompensé.

Mardi 18 décembre : dystopie prolétaire, ou l'art de voler

En ce deuxième jour de festival, les espoirs et les désillusions de l’amour ont commencé. Alors qu’on attendait avec impatience la découverte de Her job, la projection laisse un goût amer, tandis que The factory séduit avec efficacité. Mais le coup de cœur de ce mardi était hors des balises de la compétition : le long-métrage animé Ruben Brandt, the collector, présenté dans la section Playtime, émerveille par son esthétisme, son intelligence et sa légèreté. Des amours imaginaires, que l’on dissèque par le texte.

Her job

Premier long-métrage de Nikos Labôt, Her job aspire à une révolution féministe qui, hélas, n’a pas lieu. Il y a pourtant une matière propice à l’émancipation, mais en forçant les traits sur les difficultés initiales de son héroïne Panayiota, le réalisateur grec ne fait qu’accentuer une soumission patriarcale, dont le personnage principale fait face avec une certaine mollesse qui finit par agacer malheureusement.

Mère au foyer dévouée à son mari et à ses deux enfants sans réelle gratitude de leur part, Panayiota incarne le profil même de la femme dépendante dont l’existence est ignorée. Mais un changement s’opère lentement avec la crise grecque, cette dernière étant obligée de prendre un travail pour la première fois. Une obligation qui s’avère être libératrice pour elle. Peu à peu Panayiota semble s’émanciper, découvrir l’indépendance financière, construire de nouvelles amitiés. Mais tout ceci n’est qu’un leurre : si elle « a quitté la demeure familiale pour le domicile conjugal, passant d’une domination patriarcale à une autre », son emploi de femme de ménage n’échappe pas à la règle. Elle demeure sous le joug masculin, manipulée par son supérieur qui tire profit de sa naïveté et son analphabétisme.

Si la mécanique de domination virile, ainsi que les rapports conflictuels homme-femme au sein d’un couple sont décrits avec pertinence, la victimisation de Panayiota désert le récit. L’actrice Marisha Triantafyllidou épouse parfaitement cette femme lassée, la passivité de son caractère lui colle à la peau, mais que trop bien et finit par rendre le film trainant. Au lieu d’un manifeste pour l’affranchissement féminin, Her job ne fait qu’ancrer les dysfonctionnements dans la pesanteur de la crise grecque, sans phare, en prise réelle avec un quotidien qui assomme, où la femme est piégée.

The Factory

The factory empreinte également les sentiers de la classe moyenne en difficulté face à la crise de l’emploi, mais le chemin est plus sombre. D’un film initialement annoncé comme un thriller politique, la narration s’enfonce dans les confins d’une psychologie plus complexe créant divers niveaux de lecture à l’intrigue, pour un labyrinthe scénaristique énigmatique.

À la réalisation, le russe Yury Bykov tisse avec finesse et efficacité une histoire désenchantée dans laquelle des ouvriers cèdent au désespoir face à la perte future de leur emploi et prévoient le kidnapping de l’oligarque local propriétaire de l’usine. Mais le plan ne se déroule pas comme prévu et l’issue prend un dessein plus dramatique. Reprenant les codes d’un blockbuster américain, le réalisateur insuffle un vent glacial soviétique échappant au sempiternel couleurs criardes et explosions à gogo si proprement « kitch » au genre. L’esthétique est léchée, la photographie affiche une dualité de nuances chaud-froid qui colle au caractère du personnage principal Le Gris, tandis que la bande sonore crée une ambiance lourde, à l’intensité palpable. Cette combinaison maitrisée, scénario et réalisation, abat dès le début une chape de plomb dont la pesanteur ne quittera pas le spectateur jusqu’à la fin.

À travers cette histoire, Yury Byokv dresse des portraits de vie résignée, d’existences qui semblent vaines dont le fatalisme mènerait presque au nihilisme. The factory explore avant tout l’individualité et l’individualisme, comment ce dernier impacte le collectif, au-delà de toute corruption. Alors quel est le moteur ? L’argent ? La révolution ? Le sacrifice ?

L’intrigue est cousue avec talent, l’âpreté de Le Gris écorche l’image, pour une dystopie efficace à la noirceur brumeuse.

Ruben Brandt, the collector

La noirceur est bien plus exaltée dans Ruben Brandt, the collector qui offre un véritable jeu de piste jouissif à travers les arts et une intrigue aux accents de polar. Premier long-métrage animé de l’artiste protéiforme Milorad Krstic, le film réussit avec brio à conter l’histoire de la peinture « sans que cela ne soit ennuyant », souhait cher au réalisateur, grâce à cette enquête rythmée où le burlesque se savoure avec délectation.

Ruben Brandt, psychothérapeute spécialisé dans l’art thérapie est contraint de voler des chefs-d’œuvre picturaux de ces deux derniers siècles pour se soigner lui-même. Un détective se lance alors sur les traces de celui qu’on surnomme désormais « Le Collectionneur ».

Dans cette course poursuite artistique, Milorad Krstic met en place un labyrinthe référentiel explorant les arts du XIXe et XXe siècles, chaque scène devenant un tableau elle-même pour une mise en abime dans laquelle l’œil ne cesse de chercher les indices, les détails cachés. De Chirico à Warhol, en passant par Manet et Hopper ou encore Duchamp et Picabia pour ne citer qu’eux, la traque nous ballade de manière anachronique au gré des différents mouvements artistiques. Par un subtil travail d’appropriation, Milorad Krstic rend hommage à tous ces créateurs de génie, dont la citation la plus marquée demeure celle de Picasso qui imprègne le graphisme du film.

Le cinéma n’est pas en reste, de Hitchcock en glaçon à la fameuse scène de danse de Pulp fiction de Tarantino, là encore les clin d’œil sont nombreux. Les affiches sont également réinterprétées, offrant un voyage exalté et halluciné dans les arts. Un jeu visuel accompagné par une bande son séduisante.

Mais nul besoin d’être une tête d’ampoule de l’histoire de l’art pour apprécier ce long animé car le réalisateur a pris soin d’élaborer une intrigue captivante, tout comme ses personnages. Si la peinture demeure la toile de fond, un second niveau s’immisce dans la narration avec cette enquête policière dynamique où gravitent des personnages à la psychologie torturée ou absurde, pour une densité scénaristique haletante. De musée en musée, on tente de trouver comment le prochain tableau sera dérobé, quels liens lient les divers protagonistes, quel désir se cache derrière ce trouble. Et derrière cette joyeuse troupe loufoque, le réalisateur ne manque pas de critiquer non sans humour le monde de l’art par le prisme du public donnant lieu à des scènes rocambolesques.

Mais Ruben Brandt, the collector reste un hommage à la création, un thriller artistico-psychologique réussi en tous points de vue, qui amuse comme il séduit.

Lundi 17 décembre : humanité vile & girl power

En ce lundi 17 décembre, Le Bleu du Miroir a débuté son périple au cœur du festival du cinéma européen des Arcs. Pour sa dixième édition, qui a lieu du 15 au 22 décembre, la manifestation propose une sélection éclectique dont les premiers visionnages ont laissé un sentiment partagé.

Tous deux présentés en compétition officielle, Aniara et Joy explorent la perversité de la nature humaine et mettent à l’honneur des personnages féminins d’une force remarquable. Mais la comparaison s’arrête ici, tout comme l’appréciation de ces deux longs, le premier ayant suscité un avis mitigé.

Aniara

Adapté du poème éponyme de l’auteur Suédois Harry Martinson, Aniara conte l’exode terrestre de l’humanité vers Mars, les ressources de notre planète étant épuisées. Alors que le voyage se déroule normalement, un incident dévie le vaisseau de sa trajectoire désormais à la dérive, sans certitude de retrouver un cap.

Premier long-métrage de Pella Kagerman et Hugo Lilja, le film ouvre des pistes de réflexion sur les désastres écologiques, sur la nature humaine et son consumérisme outrancier, sur le capitalisme et cette boucle perpétuelle du dominant/dominé, sur les dangers du culte. Des questionnements d’autant plus intéressants pour un poème paru en 1956, mettant en exergue l’inquiétante orientation, ou absence d’orientation, que prend l’humain, mais dont le rendu cinématographique ne rend pas justice. Non pas qu’il faille des effets spéciaux hollywoodiens, mais la photographie est quelque peu surannée entachant au fil du temps l’intérêt pour la narration, qui devient poussive à la fin. Malgré la performance des deux actrices principales Emelie Jonson et Bianca Cruzeiro, il manque du souffle à Anaria pour nous convaincre.

Joy

Ce qui ne fut pas le cas de Joy, dont la rudesse du propos touche sans détour. Superbement incarnée par Joy Alphonso, Joy se retrouve dans la spirale infernale du trafic sexuel. Émigrante nigériane atterrie à Vienne, elle est en proie à son proxénète, à sa famille, au système politique du pays, et à elle-même lorsqu’elle est contraint de s’occuper de Precious, la dernière arrivée.

Avec son second long-métrage, la réalisatrice Sudabeh Mortezai donne une parole quasi documentaire à des femmes qu’on choisit le plus souvent de ne pas voir : prostituée, immigrante, noire. Et elle le fait avec une brutalité subtile afin d’éveiller les consciences. La violence n’est pas visuellement mais suggérée qu’il s’agisse du viol ou de l’exploitation de la femme par une autre femme, dynamique perverse arguant d’une situation critique. Un parti-pris cinématographique a l’effet retentissant tant l’imaginaire se couple facilement avec une réalité qu’on ne peut plus occultée. Et c’est à travers la résilience et l’abnégation de Joy, mais aussi la fougue fugace de l’incroyable Precious Sanusi que les mots de la féministe française Benoîte Groult prennent tout leur sens : la femme est « la survivance la plus massive de l’asservissement humain » car « il reste facile d’exploiter chacune d’elle séparément ». Un système effectivement bien rodé, dans lequel le poids des traditions et des religions maintiennent docilement ces femmes-objets en esclavage pour le bénéfice de quelqu’uns.es.

On ne sort pas indifférent du film face au destin de ces femmes dont la vie semble être qu’une longue survie. Le film est dur, l’espoir aussi illusoire qu’un rite, mais une forme de beauté réside dans la force ces héroïnes, dont on ne manquera pas de reparler dans une prochaine Bobinette.

bottom of page