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Gilles Balmet et ses territoires un-formal

Fondant la forme et l’informe, le travail de Gilles Balmet révèle des interstitiels paysagers cachés en éprouvant la plasticité comme geste. Une quête picturale qui repose sur un triptyque : une ambivalence entre figuration et abstraction, une réversibilité des signifiés in.conscients ainsi que des processus créatifs nouveaux, faisant de Gilles Balmet un artiste au vocabulaire singulier.

Envahir la surface, laisser goûter la matière, immerger le support dans la couleur au gré de gestes performatifs ; Gilles Balmet écrit œuvre après œuvre un corpus pictural emprunt d’un corps à corps avec la texture où le hasard des formes répond à un processus plastique contrôlé. Mais réduire les toiles de l’artiste à une simple expérimentation créatrice, bien qu’elle demeure l’essence de son travail, élude la partie réflexive par laquelle il sonde l’inconscient. Une démarche allusive mais apparente avec Untitled (Rorschach) dont la première série entre 2004 et 2007 imprègne le cadre d’une matrice répétitive pour un corollaire psyché-esthétique abstrait évident. Se croise alors une forme de nécessite intérieure à la Kandinsky avec des all over pollockien, à l’instar de Breaking the lines (2010) sans pour autant en être une filiation mais une évocation que Gilles Balmet s’approprie.

S’esquisse ainsi les prémices d’un champ exploratoire du subconscient par transfert esthétique où l’artiste joue sur la multiplicité des supports ; de la vitrophanie en adhésif découpé avec Window aux classeurs creusés pour les Archives (2006), afin de poursuivre une quête visuelle initialement dépourvue de substance matérielle. L’espace est investi si bien dans sa temporalité, par la grandeur des toiles, que par sa spatialité, le support se remplissant sous l’effet de l’accumulation linéaire des Construction lines (2010) et de Ink map (2011). Une répétitivité qui se trouve déviée par une impulsion au creux d’un Nid (2010) par endroits saturés de noir, comme si la pensée s’y était accrochée. Des peintures sérielles et matricielles qui élaborent peu à peu un vocabulaire plastique où le processus, la matière et la forme sont intrinsèquement liés.

Mu par un désir instinctif de découvrir les images en devenir, l’artiste cherche la minéralité dans la texture de From above (2008) créant une porosité de plus en plus ambiguë entre l’abstraction et la figuration. La peinture organique et infusée se gorge de couleurs pour de Nouveaux territoires (2009) et, se combinant aux coulures en négatif des Winterdreams (2004-2005), confère à l’artiste l’autonomie de la forme tant aspirée, offrant une potentialité expressive purement intuitive.

CASCADES EN SÉRIE

Le visible se dérobe alors à la figure créant une conjonction entre la figuration du signifiant et l’abstraction du signifié paysage pour des interstices énigmatiques où se déversent des Waterfalls (2010) à l’organicité érodée. Gilles Balmet active avec le lavis d’encre sur papier un accident sous maîtrise de la création en surface, croisant inlassablement les possibilités d’un recouvrement poétique de l’environnement. Il éprouve le procédé d’où naquit la forme, à moins que l’ambivalence du travail de l’artiste réside dans cet inversement, jusqu’à l’expérimenter à travers le triptyque en 2012 mais également en opérant des Double waterfalls (2010-2011) pour un renversement de l’écoulement et un jeu sur la perception. Le réel vacille et finit par s’épurer dans d’autres séries de cascades baignées de couleurs entre 2012 et 2017 (Waterfalls Minimal) où le minimalisme de l’acte laisse le lavis transfuser avec douceur, couler avec sérénité sur le grain du papier pour une danse délavée mais harmonieuse des pigments, tandis que le motif se complexifie avec les Waterfalls hybrid (2016) pour un tissu à la minéralité intensifiée.

REFLETS ARGENTÉS

Une signature esthétique puisant sa prégnance dans l’élaboration même de la pièce pour laquelle l’artiste entreprend une danse hasardeuse avec la matière : suite à la pulvérisation de peinture acrylique argentée à la surface d’une piscine d’eau, Gilles Balmet trempe une feuille noire perpendiculairement à la ligne de flottaison des matières effectuant ainsi une transcription gestuelle des éléments.

De cette démarche de corps à corps avec la création paraît un triptyque où s’entremêle des montagnes, des reliefs et des trajectoires argentées, sujets au sein desquels l’artiste va s’appliquer à explorer une extension de la forme. Les premières Silver mountains se dévoilent en 2011, série qui s’étend jusqu’en 2014 et qui introduit ce ballet territorial où la montagne est fantasmée autant que l’acte créateur. Des ondulations cristallines s’élève une nuée pulvérisée, un halo nébuleux luit soudainement dans le noir tandis que la série réalisée entre 2015 et 2017 se révèle plus mouvementée, comme si la matière était lave en fusion. Paysages intérieurs ou paysages d’ailleurs, Gilles Balmet crée de nouveaux panoramas où les sommets se font minéraux, où la surface plastique devient presque relevé sismographique photographique. Des interstices qui englobent le regard à l’instar de l’installation à la médiathèque de l’architecture et du patrimoine à Charenton-le-Pont (2012-2015).

La montagne se désincarne en relief sous forme de Sainte Trinité avec le triptyque Silver reliefs (2012-2016). La notion de verticalité s’efface dans le désordre des courbes animées d’une violence souple. L’horizon se brouille sous la disparition des repères amorcée par le retour du all-over faisant des Silver Reliefs de 2011 un espace indéterminé en formation, tel un univers interne à la pensée tandis que la troisième série (2016-2017), toujours réalisée à partir de peinture acrylique argent mais avec de l’encre de Chine, glisse en profondeur au cœur de la matière. La toile devient une sorte de coupe au sein même de cette matière oscillant entre nature sauvage et humaine, à la fois ombrageuse et poétique. La figure des hauteurs réapparaît éclaircie avec les Ink mountains (2015-2017) mais toujours tourmentée par les chemins argentés sinueux tracés par l’artiste, tandis que les Ink mountains précédentes (2009-2014) sont baignées de blanc, comme recouverte d’un voile éthéré et voluptueux. La figuration gagne à nouveau en opacité sur la ligne d’horizon du Paysage double (2010) où la réversibilité perspective et l’amalgame de l’argent et du blanc opèrent une synthèse des “reliefs” et des “mountains” . Une concomitance créative qui enrichie chaque série, dans la forme comme dans le sens pour une œuvre à la territorialité informelle.

Intériorité, cascades, montagnes, Gilles Balmet retranscrit ainsi des environnements parallèles à la réalité indéfinie par des gestes élémentaires mais affranchis. Jouant avec la figuration et l’abstraction, il poursuit l’émancipation de la forme à travers une peinture devenue danse où le processus créatif révèle une dimension in.consciente de la perception du paysage et de ses nuances.

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