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Société pernicieuse


Il y a ces gestes silencieux, ces normes banalisantes, ces agressions qu’on nomme autrement (on se croirait presque dans l’univers de Harry Potter mais la vérité est plus cynique) malgré une réalité de faits bien maussade. Second long-métrage de la réalisatrice Michal Aviad, Working Woman aborde les questions de violence dans le cadre professionnel en suivant la trajectoire de Orna sous un angle quasi documentaire. Cependant, la mise en scène fictionnelle permet une immersion totale et intelligente dans la fabrique du harcèlement, un système vicieux à la progression presque imperceptible.

Ces abus, moraux ou sexuels voir les deux, s’immiscent souvent insidieusement dans le cours de la vie au point d’en devenir opaques. Les dernières années de notre ère tant civilisée l’ont prouvé, mais cette soudaine visibilité a pu de faire grâce à des voix puissantes telles que celles à l’initiative du mouvement #MeToo. Avec Working Woman, Michal Aviad s’intéresse à la femme « lambda », celle qui n’a pas vraiment le choix si elle veut continuer à subvenir aux besoins de sa famille.

Mère de trois enfants dans un foyer à faibles revenus, Orna décroche un poste dans une société immobilière dirigée par Benny, homme d’affaire aux allures de bon Samaritain. Interprété par la remarquable Liron Ben-Shlush, le personnage d’Orna fait preuve d’enthousiasme et de professionnalisme dans la peau de cette Working Woman. Il y a toutefois une pesanteur alarmante dès le début : les plans sont serrés sur les personnages, souvent de dos ou de profil, le cadre ne s’ouvre jamais, la caméra n’offre aucune perspective sur le panorama Israélien. L’environnement est cloisonné, signifiant un enfermement complexe dans lequel Orna va se trouver piégée malgré elle, telle une proie acculée dans la partie de chasse initiée par Benny. Un rapprochement physiquement entre la caméra et le corps des acteurs voulu par la réalisatrice afin de saisir la subtilité des gestes, la dynamique de pouvoir presque muette qui s’installe entre le dominant et la dominée. Et si au début la relation hiérarchique est « simplement » anormale, sur le long terme elle se transforme en menace constante qui semble toutefois se légitimer par le manque de protestation de Orna, figée d’effroi par la situation.

Mais Benny, finement incarné par Menashe Noy, n’est pas le seul responsable de cette déviance comportementale, c’est toute la société qui génère ces abus immoraux. L’absence de « réaction » de la part de Orna reflète une dépendance financière justifiant dans son esprit ses sacrifices et entraine de surcroit un enchainement psychologique nuisible dont Benny use avec finesse. La peur glisse progressivement vers la culpabilité, l’une des grandes farces du XXIe siècle concernant les victimes d'harcèlement. Car toute victime d’agression devrait parler, et si cela survient trop tard, ça n’a pas eu lieu ou c’est sa faute. Orna ne fait pas exception, lorsqu’elle atteint le point de non-retour et décide de se confier, elle avoue avoir « commis une erreur » et fait face à l’incompréhension de son mari.


SACRÉES PAIRES D'OVAIRES

Michal Aviad aurait pu continuer dans cette veine, suivant le chemin tortueux d’une harcelée, mais la réalisatrice prend une autre voie, celle d’une délivrance qu’on n’attendait pas. Délaissant l’idéologie « victimiste », elle fait de sa working woman une superwoman. Le film n’aborde pas l’angle de la plainte, les procédures judiciaires ne sont pas le cœur du sujet, le véritable enjeu est la résurrection.

Tout comme le harcèlement est un processus de longue haleine, le film prend son temps pour arriver à ce twist jubilatoire bienvenue. Un revirement narratif est précieux car « on s’intéresse moins à celle qui réalise des exploits qu’à la victime de la domination masculine. La superwoman a mauvaise presse » selon les propos d’Elisabeth Badinter, qui pour une fois font sens. Orna est définitivement cette héroïne, celle qui met fin à l’oppression de son geôlier alors qu’elle aurait tout à perdre. Tout à perdre car elle n’est pas une star pleine de richesse mais une femme ordinaire dont les accusations de viol pourraient être destructrices pour elle et sa famille. Pourtant, elle agit, non pas par le biais dont Balance ton porc, aussi salutaire soit-il, mais par celui de la manipulation à l’instar de Benny.

Prenant son bourreau à son propre jeu, elle se délivre et met ses ovaires sur la table. De force il n’est point question, simplement d’avancer avec intelligence et protection, faisant presque appel à un instinct de survie qui tient davantage de la gagnante que de la petite chose. Un revirement qui se manifeste à l’écran avec le visage illuminé de Liron Ben-Slhush qui sort victorieuse de cette ultime confrontation.

Michal Aviad fait ainsi elle aussi preuve de courage en proposant ce film fort et met sur caméra une sacrée paire d’ovaires avec une sagacité scénaristique adéquate. Working Woman est hommage aux femmes opprimées qui décident de se battre, où la servitude laisse place à l’espoir et une lueur qu’il va falloir défendre tous ensemble.


Pour aller plus loin

Harcelées d’Astrid de Villaines


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Article pour Le Bleu du Miroir

La Bobinette flingueuse est un cycle cinématographique ayant pour réflexion le féminisme, sous forme thématique, par le prisme du 7e art. À travers des œuvres réalisées par des femmes ou portant à l’écran des personnages féminins, la Bobinette flingueuse entend flinguer la loi de Moff et ses clichés, exploser le plafond de verre du grand écran et explorer les différentes notions de la féminité. À ce titre, et ne se refusant rien, la Bobinette flingueuse abordera à l’occasion la notion de genre afin de mettre en parallèle le traitement de la féminité et de la masculinité à l’écran. Une invitation queer qui prolonge les aspirations d’empowerment de la Bobinette flingueuse.

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