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Cécile Beau, créatrice de continuum plastique

Derrière la poésie, en apparence fragile, des œuvres plurielles de Cécile Beau se cache une exploration de la matière aux confins de la science et de la création. La nature se mue en expérience sensorielle décalant le temps et l’espace, pour des territoires métamorphosés où se loge une réflexion sur l’ensemble et l’organique.

Du visuel au sonore, Cécile Beau élabore des paysages oisifs où l’imperceptible se révèle, où la banalité de notre environnement échappant au conscient apparaît soudainement. La matière est au cœur du faire comme du ressentir, végétaux et liquides deviennent véhicule d’un vivant non sans rappeler le lyrisme de l’Arte Povera des années 1960. Mais l’artiste injecte dans cette poésie du scientifique qu’elle décortique sémantiquement afin d’interroger le cosmos, aboutissant à une philosophie créatrice contemplative à l’instar de ellipses (2016), pièce réalisée avec Nicolas Montgermont. Au sol se joue un ballet astral, retranscription de l’harmonie des sphères de Johannes Kepler (XVIe siècle). Planètes, planètes naines, comètes ; chaque astre correspond à une note bougeant en temps réel suivant la vitesse de rotation autour du soleil.

Un changement d’échelle rendant visible le temps qui s’écoule dans les particules [minérales] (2015) où de la poussière de roche contenue dans des sabliers témoigne du passage et de la gravité, paysage animé de lenteur. L’ère géologique se trouve comme inversée, une déstabilisation de l’espace-temps qui ouvre un chemin ancestral dans le présent d’où émergeraient les racines de la siouva (2017), œuvre réalisée en collaboration avec Anna Prugne, produisant une sculpture de bois fantasmagorique qui évoque une hybridité arachnéenne. Une perturbation visuelle présente également dans les specimen (2013) où l’apparente immobilité vibre. Avec cette série d’aquariums dans lesquels un végétal ou un minéral est plongé, les pièces dévoilent des découvertes comme figées, illusion plastique permettant de reproduire des phénomènes scientifiques particuliers telle qu’une simulation de conservation au formol. Excepté que l’organisme est agité par une oscillation lumineuse et sonore grâce à un micro-éclairage immergé. La nature devient sujet d’étude et de contemplation, dans un instant suspendu en mouvement.

MATIÈRES SONORES

Une perturbation des sens extrapolée avec C=1/√ρχ (2008), énigme translucide fixée dans un faisceau blanc de laquelle s’échappe une texture sonore modifiée. Sorte de maquette architecturale composée de modules en verre, la pièce forme un circuit où des flux aux résonances urbaines naviguent et se heurtent, au fil des différentes composantes assemblées, au filtre de la matière qui les enferment jusqu’à perdre leur essence première dans la langueur. Les bruits distendus évoquent « une distillerie sonore », provoquant une interférence entre l’œil et l’oreille, à l’image du tunnel en céramique signifiant une érosion (2014). D’un trou mural in situ semble remonter le souffle profond d’une grotte. La diffusion du son active les mystères de cette cavité où se rejoignent différentes périodes telles des fictions fantasmées, notamment émises par l’antenne météorologique coriolis (2017). Ce satellite flottant, comme décroché d’un corps céleste, retransmet une narration faite de vent, de pluie et de givre. L’impalpable envahit l’espace tandis que la lumière diffuse de cette image lunaire semblant se raccrocher au terrestre. L’artiste déploie d’un geste de nouveaux territoires mentaux propre à chacun selon une mythologie personnelle, pour ensuite mieux ramener le conscient dans la réalité environnementale.

Car l’œuvre de Cécile Beau ne cherche pas seulement à poser une brume onirique sur les perceptions, elle tend également à provoquer la genèse d’une réflexion sur les enjeux climatiques que l’on voit se cristalliser dans la noire intensité de l’installation Albédo 0.60 (2017). Au centre d’un disque aqueux se forme, par l’effet d’un système frigorifié, une couche de glace concentrique qui s’étend, miroir des bouleversements écologiques, tandis que le reflet devient plastique pour vallen (2009). L’encre de chine disposée sur un morceau de bois sombre forme des cercles à sa surface simultanément au son résiduel d’une goutte d’eau imaginaire, allégorie d’un liquide précieux qu’il faut préserver. Un fragment d’un ensemble plus grand miniaturisé dans des univers chimériques pour former un tout connecté, intrinsèquement dans l’œuvre, mais également au-delà dans le vivant.

MICROCOSMES UTOPIQUES

De paysage il est aussi question avec des échantillons de nature diminués. Ces paysages sont activés par le biais d’écosystèmes délicats qui reconstituent les prémices de la vie et révèlent l’intemporalité de certains organismes créateurs. La végétation utopique de cladonia (2017), faite de mousse et de lichen, opère une plongée originelle dans la formation de la Terre. Logée dans un angle de mur en pierres, cette flore particulière appartient aux espèces pouvant coloniser un environnement dépourvu de vie. L’artiste déploie un microcosme poétique dont la fragilité traverse les âges malgré les mutations environnementales. Un embryon terrestre en développement qui évoque un retour aux sources naturelles autant que la fontaine hépathiques (2018). Cette forêt panchronique réduite in situ, exposée sur socle, répond au lieu d’exposition et ricoche jusqu’à un temps géologique lointain. Une double histoire s’insère dans l’installation où la luxuriante arborisation dessine « un petit jardin des origines où les espèces végétales qui le composent n’ont pas évolué depuis leurs traces fossiles datant du jurassique ». Au milieu de cette séduisante verdure se cachent deux terrariums contenant des grillons, insectes ayant eux même peu évolués depuis cette période. Un chœur qui résonne comme une douce mélodie face aux énigmes de la nature, créant une boucle connectée dans l’ensemble des œuvres et dans l’univers.

Et l’artiste ne manque pas d’inventivité pour capter les mystères de la galaxie en divulguant le chant du cosmos dans la chambre résiduelle (2018), reprenant le système d’aquarium et de micro, afin de donner de la matière à ce qui nous échappe. Ou encore en mettant en lumière par l’esquisse des enregistrements sismiques (sillage, 2012-2015, réalisé avec Nicolas Montgermont) ou les mouvements topographiques de l’air et de la terre (mécanique des milieux continus, 2017) afin de rendre visible ce qui semble banale et trop distrait à l’œil.

Dans son travail, Cécile Beau ne cesse de décaler le temps et les perceptions, invitant à une déambulation contemplative d’une nature séduisante. Le paysage s’ouvre sur la vie au-delà de l’humain pour poser le regard sur un environnement mental nouveau où le singulier se confond au merveilleux, où l’unité se fond dans l’ensemble pour un continuum enchanté et réflexif.

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