Interview Olivier Poizac
Avec son Guérisseur de cathédrales, Olivier Poizac donne à voir le monde par le prisme d’une réalité picturale éclatée. La figuration flirte avec une vision surréaliste marquée par le pixel. Une peinture narrative qui convoque les problèmes de société. À l’occasion de son exposition à l’Espace Vallès, nous avons rencontré l’artiste.
Vous avez travaillé un temps dans le domaine du jeu vidéo. Il y a d’ailleurs dans votre peinture des réminiscences de votre passé, avec des formes « pixellisées » qui côtoient une figuration plus réaliste. Pourquoi ce mélange d’esthétiques ?
Olivier Poizac : Ma formation de départ c’est la peinture, j’ai fait les Beaux-Arts. C’est le pinceau qui m’a mené au pixel. J’ai continué avec une école d’arts graphiques puis j’ai travaillé dans le domaine du jeu vidéo. Quand c’est devenu trop une industrie que j’ai changé mon fusil d’épaule et que je suis revenu à la peinture.
Mais j’ai gardé certains codes graphiques de cette période et je ne renie pas cette expérience. Au contraire, je suis plutôt content de ça parce c’est une forme de modernité : les low polygones, les objets avec beaucoup d’angles. D’ailleurs on observe aujourd’hui ce chemin inverse dans la sculpture contemporaine.
La forme est imprégnée de votre expérience, mais le fond aussi notamment lorsque vous évoquez la religion. Vos toiles sont une sorte d’introspection personnelle ouverte sur des problèmes de société tels que les migrants, les jeunes aujourd’hui… Comment s’opère ce transfert du personnel au collectif ?
Je n’imagine pas être un personnage à part. J’appartiens à une société et pour moi, c’est important d’être inclus dedans. Ce n’est pas parce que je fais un métier où je suis enfermé dans mon atelier que je n’ai pas envie d’être intégré. Comme tout le monde j’ai un regard plus ou moins critique sur ce qui se passe. Et ma façon de critiquer, entre guillemet, c’est de poser sur la toile.
En plus, comme j’ai une culture d’anticipation avec des auteurs tels que Philip K. Dick et George Orwell, j’ai tendance à mettre en perspective ce que je vois arriver et ce que j’ai lu quand j’étais gamin. Ce sont les deux piliers de l’anticipation et malheureusement il y a une sorte de clairvoyance dans leurs écrits, la société ayant tendance à virer vers cette partie obscure. La peinture, c’est un moyen de s’exprimer et de participer à faire ralentir cette dérive.
Malgré la contemporanéité de vos tableaux, il y a une dimension « peinture traditionnelle ». Pourquoi conservez-vous cette sorte de classicisme pictural ?
J’ai vécu la destruction de la peinture quand j’étais aux Beaux-Arts. Je suis de la génération qui a vécu le : « la peinture n’existera plus, on en parlera plus »… Je n’aime pas vraiment l’académisme, mais la représentation classique est quelque chose de naturel pour moi.
Quand je dessine, ce sont toujours des personnages réalistes. J’aime bien utiliser une sorte d’académisme moderne qui tend vers le figuratif mais j’essaie de lui donner un peu pêche. Je ne pousse pas le truc, c’est naturel.
La figuration que vous convoquez verse toutefois dans le surréalisme : vos mise en scène et vos personnages sont dans une réalité distanciée. Pourquoi jouer sur cette altérité du vrai, ce travestissement de l’Homme ?
Je ne suis pas sûr que ça soit du travestissement, je pense que c’est une mise en abime. L’idée c’est : comment en image représenter une pensée. C’est pour ça qu’il y a une scénographie, qu’il y a effectivement un travail un peu compliqué qu’on peut rapprocher du surréalisme mais pour moi c’est presque de la mise en scène. J’essaie d’exprimer une pensée par une image. Je trouve ça important que la personne se dise : mais qu’est-ce qui lui ait passé par la tête, qu’est-ce qu’il a voulu dire et qu’est ce que ça me dit à moi ? Qu’on se retrouve de cerveau à cerveau.
Je n’ai aucunement envie de représenter la société telle qu’elle. Par exemple, je suis un grand fan de Lucian Freud mais parce qu’il y avait une interprétation, tandis que le portrait classique m’intéresse pas. Je pense que ça appartient au passé.
Vous présentez actuellement votre travail à l’Espace Vallès de Saint-Martin-d’Hères. L’exposition s’intitule Le guérisseur de cathédrales. Quelle est la genèse pour cette exposition ?
C’est un tableau et un événement. Le tableau, c’est le personnage avec l’église à côté de lui que j’ai nommé après coup Le guérisseur de cathédrales et l’événement ça a été la mort de mon père qui est survenue quelques mois après que j’ai su que j’allais exposer à l’Espace Vallès.
Je me suis posé la question de pourquoi j’avais fait ce tableau, avec cet homme grand et cette église à côté. En faisant un travail de retour en arrière que je me suis rappelé que j’avais lu ce livre, Le guérisseur de cathédrales de Philip K. Dick, quand j’étais adolescent et qui traite de l’homme face à la religion, face aux manipulations des peuples… Le livre m’est revenu en tête et j’ai trouvé le fil rouge de l’exposition.