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Porosité Durasienne

LITTÉRATURE ET CINÉMA, AU FÉMININ

Générateurs de mots comme d’images, la littérature et le cinéma entretiennent des liens créatifs intrinsèques. La figure de l’écrivain a d’ailleurs été maintes fois portée à l’écran, de la fiction au biopic, traitant des affres de l’écriture, contant la vie romanesque de l’auteur•e ou devenant miroir animé de l’œuvre couchée sur papier. Malgré cette diversité féconde, les femmes de lettres ont été acculées dans l’ombre des hommes des décennies durant. Un aphorisme que la fin du XXe et le début du XXIe siècle cinématographique tentent de déjouer en pointant la caméra sur des œuvres littéraires d’auteures et/ou en narrant l’intimité de ces dernières de Sagan à Emily Dickinson, en passant par Virginia Wolf.

Un exercice de style qui peut différer du film d’« écrivain », non par misandrie, mais car il y a dans l’art, comme dans bien des domaines, une création dite « au féminin ». La littérature en est un terreau fertile, un univers à part où la femme apporte un style particulier, à l’instar de Marguerite Duras. Artiste Française et résistante née en 1914 près de Saïgon et décédée en 1996 à Paris, Marguerite Duras demeure l’une des plus belles et puissantes plumes de littérature. Auteure d’œuvres emblématiques telles que L’Amant ou encore Le Ravissement de Vol V. Stein, elle écrit en 1985 La Douleur, récit auto-fictionnel couchant sur papier l’insupportable attente du retour de son mari déporté lors de la Seconde Guerre mondiale. Une thématique éculée dans le monde du 7e art mais que le réalisateur Français Emmanuel Finkiel transpose à l’écran avec une intelligence textuelle et plastique révélant toute le suc du récit et la beauté abrupte de la prose de Marguerite Duras.

POROSITÉ "DURASIENNE"

Une matière textuelle où la frontière entre la véracité des faits et l’évanescence d’un souvenir devient poreuse. Dans L’Amant, l’auteure écrit « L’histoire de ma vie n’existe pas ». Elle devient pourtant réalité à travers ses mots, pour une substance littéraire affranchie de tout cadre où les interstices laissés blancs nourrissent un univers pluriel. Cette liberté formelle, Emmanuel Finkiel l’a embrassée à l’écran en infiltrant sa vision cinématographique par les sous textes distillés dans l’aridité des pages de La Douleur. Le flou joue du trouble de son personnage, tandis que la musicalité se cogne au silence devenant physiquement étouffant, telle l’absence du mari de l’écrivaine. La photographie déstabilise le regard par le jeu des focales autant que l’ambiance sonore déroute l’oreille, plongeant le spectateur dans le même état que l’héroïne : terrassée par une décharge émotionnelle oppressante, sans aucune emprise sur ce désastre.

Une expérience immersive, presque épidermique par moments, rendue possible par le fin travail d’adaptation d’Emmanuel Finkiel mais tirant cependant toute sa sève dans l’encre de Marguerite Duras, sous les traits meurtris de Mélanie Thierry, époustouflante dans sa performance. Car La Douleur ne se regarde pas mais se vit, par le prisme d’une écriture vibrante et puissante dont la parabole visuelle se déroule avec profondeur. Joué avec intensité, déclamé avec langueur par Mélanie Thierry – souffrant parfois de quelques longueurs scénaristiques, la plume de Duras prend forme, devient corps dans un espace-temps (ir)réel. L’incarnation Duras-Thierry finit par nous enlacer, dans une chaleureuse souffrance, la beauté des lettres se fracassant avec force contre la réalité travestie de l’histoire. Une sensibilité, une écriture, « un souffle, incorrigible […], de cette recherche de lieu d’ombre où s’amasse toute l’intégrité de l’expérience ». Emmanuel Finkiel fait siennes les pensées de Marguerite Duras, et opère une extrapolation vocale sensible et éclatante des sentiments humains, des tourments de cette femme.

La magnificence du texte frappe tous les sens, révélant à nouveau le génie littéraire de Marguerite Duras et levant le voile sur la pureté authentique de la composition de Mélanie Thierry. La Douleur est violente et sublime à la fois, une puissance créatrice trouvant sa genèse chez une femme, une artiste, une résistance : Marguerite Duras.

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  • Pour aller plus loin : L’Une & l’Autre, Camille Laurens et Gwénaëlle Aubry

  • Sources : VILAIN, Philippe, « Personnage en quête d’auteur », in Télérama hors-série Duras le centenaire, avril 2014, Paris, p. 50 + Télérama hors-série Duras le centenaire, avril 2014, Paris, P. 76

Synopsis

Juin 1944, la France est toujours sous l’Occupation allemande. L’écrivain Robert Antelme, figure majeure de la Résistance, est arrêté et déporté. Sa jeune épouse Marguerite, écrivain et résistante, est tiraillée par l’angoisse de ne pas avoir de ses nouvelles et sa liaison secrète avec son camarade Dyonis. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Rabier, et, prête à tout pour retrouver son mari, se met à l’épreuve d’une relation ambiguë avec cet homme trouble, seul à pouvoir l’aider. La fin de la guerre et le retour des camps annoncent à Marguerite le début d’une insoutenable attente, une agonie lente et silencieuse au milieu du chaos de la Libération de Paris.



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Article pour Le Bleu du Miroir

La Bobinette flingueuse est un cycle cinématographique ayant pour réflexion le féminisme, sous forme thématique, par le prisme du 7e art. À travers des œuvres réalisées par des femmes ou portant à l’écran des personnages féminins, la Bobinette flingueuse entend flinguer la loi de Moff et ses clichés, exploser le plafond de verre du grand écran et explorer les différentes notions de la féminité. À ce titre, et ne se refusant rien, la Bobinette flingueuse abordera à l’occasion la notion de genre afin de mettre en parallèle le traitement de la féminité et de la masculinité à l’écran. Une invitation queer qui prolonge les aspirations d’empowerment de la Bobinette flingueuse.

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