TRINE DYRHOLM | Entretien
Présente au festival du cinéma européen des Arcs, la comédienne danoise Trine Dyrholm présentait Nico 1988, biopic autour de l’artiste Christa Päffgen (plus connue sous le pseudonyme de Nico, la chanteuse des Velvet Underground). L’occasion de revenir avec elle sur ce rôle fort, sur ce personnage qui a eu toutes les peines du monde à être aimée pour ce qu’elle est, mais aussi d’évoquer la place des femmes dans l’art…
Vous êtes ici pour présenter le film Nico 1988 réalisé par Susanna Nicchiarelli. Comment s’est déroulée cette première collaboration ?
Trine Dyrholm : Elle m’a envoyé un mail dans lequel elle me demandait si je voulais jouer ce rôle. Je ne savais pas grand-chose sur Nico à ce moment. J’aurais aimé être l’un des journalistes qui l’interrogeait sur Andy Warhol, le Velvet Underground… C’est à peu près la seule chose que je connaissais d’elle, cette période.
Puis, à la lecture du scénario, j’ai été très intéressée par l’histoire et le personnage. Susanna est venue à Copenhague pour me rencontrer. Nous avons passé une superbe journée, et nuit, à parler du film, de comment elle voulait le faire, comment elle voulait collaborer avec moi, à propos du rôle. Puis, j’ai décidé de dire oui parce que c’est vraiment un personnage complexe. Mais je me suis sentie en confiance avec Susanna, du coup, je ne pouvais pas dire non à l’issu de cette rencontre.
Le film a été construit autour d’entretiens, notamment avec le fils et le manager de Christa. Avez-vous participé à ses entretiens ?
T. D. : Non. L’ensemble de ces éléments a été tourné avant le scénario. C’était la source pour l’écriture. Les recherches que j’ai faites étaient davantage sur Internet. Susanna a trouvé des vidéos pour moi, des interviews avec Nico, beaucoup de concerts.
Après tout ce visionnage, nous avons décidé que je ne devais pas essayer de l’imiter, que je devais faire ma propre version de « Nico ». Elle m’a dit au début : « Tu ne ressembles pas à Nico, tu ne chantes pas comme Nico, mais je pense que tu as le bon esprit pour la jouer. » Du coup, nous avons presque créé notre propre version, autant que nous le pouvions, en nous inspirant de Nico bien sur.
Comment avez-vous préparé le rôle, notamment pour le chant ?
T. D. : L’objectif n’était pas de l’imiter trait pour trait dans la façon qu’elle avait de chanter, de marcher, c’est bien plus important de raconter l’histoire, qui est universelle. C’est à propos d’une artiste, d’une mère, d’une héroïnomane qui tente de devenir clean, d’une femme, et bien sûr il y a aussi la musique de Nico.
Pour ça, j’ai été très inspirée par certains concerts que j’ai vus sur Internet. Mais j’ai surtout travaillé en studio pour trouver sa voix, et c’était le plus difficile parce que j’essayais de trouver ma version de sa voix. C’est en quelque sorte la clé du rôle, je pense. Quand on trouve ça, qu’on est dans du vrai et pas une imitation, on finit par trouver le personnage.
J’ai été aussi très inspirée par une de ses citations dans une interview. On lui demande si elle ne regrette rien et elle répond : « Non, je ne regrette à part d’être née femme et pas homme ».
C’était très intéressant pour moi parce que ça m’a appris qu’elle s’est vraiment battue dans la vie, dans son propre corps. Elle voulait être respectée pour sa musique, pas pour sa beauté. Elle a combattu ce statut d’icône de beauté qu’elle était. Je ne sais pas si elle voulait être un homme mais elle a lutté pour être une femme, et pour être une mère.
Même si la musique représente la vie de Christa, c’est presque secondaire dans le film. L’idée c’est de réhabiliter une femme, une artiste, oubliée par l’histoire…
T. D. : Je pense que la musique est d’une certaine façon un monologue dans le film. Pour moi, ça fonctionne à différents niveaux dans l’esprit du personnage, à travers le film. Évidemment, c’est l’histoire d’une mère, c’est l’histoire d’une artiste qui veut être respectée pour son art, et qui se bat pour ça.
Mais c’est aussi une enfant de la guerre. Elle est née en 1938, juste avant que la guerre ne commence, et elle est décédée en 1988, juste un an avant la chute du mur de Berlin. C’est une génération marquée par l’histoire, et la réalisatrice voulait également faire le portrait de cette génération, à travers Nico.
Pensez-vous que le milieu de l’art, quelque qu’il soit, continue à être sous le joug masculin ?
T. D. : Oui, je pense que nous sommes toujours dominées par un pouvoir masculin dans le business. Mais nous en avons bien plus conscience aujourd’hui, et c’est bien car les choses peuvent commencer à changer. Nous avons définitivement besoin de plus de réalisatrices, et de rôles plus complexes, c’est aussi un gros enjeu pour moi.
En tant qu’actrice, si parfois j’ai un scénario avec un rôle très binaire, c’est aussi de ma responsabilité de mettre de la nuance dans le personnage au lieu d’être juste en colère si mon personnage est méchant par exemple. Nous devons faire de notre mieux pour rendre le cinéma plus complexe et plus intéressant.
J’ai 45 ans, et je pense que les bonnes histoires ont lieu quand on a 45 ans, 50 ans, 60 ans, peu importe. Évidemment, on se bat beaucoup contre la beauté dans ce business, c’est également un thème du film. D’ailleurs Nico a déclaré : « je n’étais pas heureuse quand j’étais belle », parce que c’était seulement une version d’elle et pas elle que les gens voyaient. Elle était définie par les hommes, par Andy Warhol, par les photographes, et je pense qu’elle a beaucoup lutté contre ça. Elle voulait qu’on la définisse en tant qu’artiste.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire selon vous pour mettre fin à cette domination et équilibrer la création ?
T. D. : Je ne sais pas. Mais j’ai toujours été effrayé par la question des quotas, mais parfois nous avons besoin d’eux juste pour inspirer et encourager plus de femmes à postuler. Je ne sais pas comment il faudrait procéder mais je sais qu’il y a beaucoup de gens, partout, qui en discute. Nous devons continuer à prendre nos responsabilités et à créer de bonnes choses.
J’ai eu le privilège de travailler avec beaucoup de très bonnes réalisatrices, aussi de bons réalisateurs. Et j’ai pu prendre part à la collaboration des personnages voire même du scénario. Je crois aux collaborations, à l’entre-aide, à s’encourager les uns les autres.
Et évidemment, on ne veut pas le job juste parce qu’on est des femmes mais parce qu’on est les meilleures pour. Mais parfois, il faut davantage se concentrer sur des projets qui vont inspirer les femmes et les encourager à oser. Nous avons besoin de modèles, et il y en a de bons mais peut-être pas assez.
Il y a la musique dans le film, mais aussi l’histoire particulière d’une mère et de son fils. Qu’est-ce que ça dit pour vous de l’amour maternel ?
T. D. : Bien sûr, elle aime son fils, énormément, mais elle n’est pas capable de prendre soin de lui. Je pense qu’elle a lutté sans cesse avec ça. Elle a écrit des chansons sur ça, sur lui : Harry’s song, My only child… Il était très présent pour elle même si ils n’ont pas passé beaucoup de temps ensemble, sauf à la fin. Je pense que c’était une grande blessure pour elle, enfin je n’en sais rien mais c’est ce que je pense.
Je pense que dans la « scène des spaghettis », quand elle commence à raconter quel genre de vie elle a vécu, que son fils lui manque, que ces éléments de sa vie sont formulés à voix haute, il y a une prise de conscience. Puis, elle récupère son fils mais ce n’est pas facile. Ils ont une relation très compliquée mais pleine d’amour.
Votre personnage se bat pour s’affirmer en tant qu’elle-même, Christa. N’est-ce pas paradoxal d’intituler le film Nico ?
T. D. : Oui, mais c’est fait exprès. Quand le film est sorti en Italie, nous avions de tee-shirt qui disaient : « Ne m’appelez pas Nico, je n’aime pas ça », c’est une phrase du film. Mais nous la connaissons tous en tant que Nico. C’est ça le paradoxe : elle est Nico, mais aussi une femme, une icône, une mère qui s’est battue avec beaucoup de choses. Le film, c’est Nico après Nico. La raison de ce nom, pour moi, c’est justement parce que c’est que ce nous savons d’elle, qu’elle s’appelle Nico, alors qu’il s’agit avant tout d’un être humain.
Après votre prix d’interprétation à Berlin pour La communauté de Thomas Vinterberg, avez-vous reçu des propositions de tourner avec des réalisateurs européens ?
T. D. : J’ai travaillé en Allemagne, j’ai fait un gros projet pour la télé cet été sur un grand écrivain et directeur de théâtre dans les années 1930-1940 – une grande star en Europe à cette époque. J’ai aussi fait un petit film avec une réalisatrice allemande.
Je viens juste de finir un projet suédois très intéressant sous la direction d’Anna Odell, dont le titre sera Deconstruction X&Y, qui traite de la déconstruction du genre. J’ai un nouveau projet au Danemark en avril, un projet encore une fois très intéressant avec une réalisatrice.
Récemment, Sidse Babett Knudsen a enchaîné deux superbes rôles principaux en France (et a même décroché un César). Aimeriez-vous travailler en France ? Avec quels réalisateurs français aimeriez-vous éventuellement le faire ?
T. D. : Le problème c’est que je ne parle pas français ! Mais je vois de très bons films français, ceux de Céline Sciamma (la présidente du jury). J’ai beaucoup aimé La vie d’Adèle. Je suis une grande fan de Michel Gondry. Je suis aussi une grande fan de Michael Haneke, mais il tourne également en français ! Cependant comme il est Autrichien, et je parle un peu Allemand, peut-être que j’ai une carte à jouer.
Il y a beaucoup de bons réalisateurs en France, en Italie, en Europe… et j’espère seulement que des projets intéressants viendront jusqu’à moi.
Propos recueillis, traduits et édités par Charline Corubolo pour Le Bleu du Miroir – Déc. 2017
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Article pour Le Bleu du Miroir