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Horizons intérieurs

Si la perspective est lointaine, l’expression sur la toile est intérieure. Au loin les montagnes, nouvelle exposition de la galerie Marielle Bouchard, dévoile entre douce énergie picturale et sombre intensité de la nature les panoramas de massifs de deux jeunes artistes : Mengpei Liu et Yuanchi Jiang.

Tous deux issus de l'École supérieure d'art de Grenoble et originaires de Chine, Mengpei Liu et Yuanchi Jiang renouent dans l’espace de la toile avec une forme de classicisme pictural du paysage. Guidés par une inspiration à sublimer la nature, ils proposent néanmoins une touche profondément contemporaine : alors que Mengpei Liu esquisse des vues bucoliques inspirées par son environnement immédiat où l’énergie du pinceau côtoie étrangement la douceur des traits, Yuanchi Jiang applique à ses horizons une forme de lenteur trouvant sa genèse dans son for intérieur.

Entre puissance délicate et poésie minérale, les deux peintres versent ainsi dans un « paysagisme abstrait » pour reprendre les mots du critique d’art français Pierre Francastel formulés en 1950, et proposent une expérience du sensible et une expérimentation de la couleur qui se délient dans l’atmosphère du tableau. Jouant avec la lumière diffractée des pigments colorés, les deux artistes opèrent au creux de la matière un dépouillement de la nature entre abstraction et figuration où les traces mémorielles de leur Chine natale se retrouvent par fragments. Une réminiscence qui se fait en filiation avec la tradition de l’art chinois ou par des représentations fantasmées des vallées d’Orient transposées dans la réalité.

ESPACES FRAGMENTAIRES

Cette réminiscence délaisse quelque peu la tradition artistique chinoise dans les nouvelles toiles de Mengpei Liu, mais conserve une gestuelle qui maîtrise la profondeur des champs. Découverte à Grenoble en 2016 lors de son exposition Tombée dans le paysage à la galerie Xavier Jouvin, l’artiste dévoilait des panoramas de nature sublimée où l’huile épaisse était infiltrée par d’évanescentes coulures.

À la galerie Marielle Bouchard, la transparence floue s’est évaporée dans la matérialité picturale. L’espace-plan des montagnes devient jeu de déconstruction entre verticalité et horizontalité à travers une touche énergique, tel un besoin vital de figurer les représentations altérées de son environnement.

Des vues brossées naissent alors des montagnes aux camaïeux verts lumineux pour un puzzle d’éléments d’ensemble qui se révèlent entre lignes empâtées et glacis fondus. Et c’est dans cet horizon indéterminé aux allures de réalité abstraite, dans ces véritable tableaux-paysages devenant miroir de l’émotion de l’artiste, que se logent les détails de la nature qui se découvrent à force de regard.

ODE A LA LENTEUR

Une séduction de la rétine qui opère dans la lenteur de manière encore plus prégnante chez Yuanchi Jiang avec les vues intériorisées de paysages. Exprimant une « nécessité intérieure » à l’instar de l’artiste abstrait Vassily Kandinsky, le peintre offre une nature sombrement ténébreuse où la frontière entre figuration et abstraction est ténue, ouvrant ainsi des horizons méditatifs. Le relief de la toile se fait double par le jeu de lumière mais également par l’épreuve de la matière. Mixant les techniques, l’artiste dépeint une véritable science picturale versant dans le minéral pour des univers poreux, véhicules de ses sentiments.

À la palette pastel de Mengpei Liu s’oppose avec Yuanchi Jiang un prisme nuancé dans le sombre du noir terreux au vert cendré, entre crépuscule et aurore. Diluée dans la beauté des éléments qui envahissent avec finesse le cadre, la représentation se dessine à force de contemplation. Et c’est dans l’interstice des superpositions substantielles qu’apparaissent les différents degrés de l’enveloppe picturale telle une parabole psychique à la pensée de l’artiste. Avec leurs montagnes sensorielles, Mengpei Lui et Yuanchi Jiang nous plongent dans une peinture atmosphérique singulière et redonnent ses lettres de noblesse au sujet paysage.

Au loin les montagnes, à la galerie Marielle Bouchard jusqu’au samedi 9 décembre

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