Interview Peter Bauza
À travers un portrait sensible des habitants des ruines du projet immobilier Copacabana Palace en périphérie de Rio de Janeiro, où se mêlent les couleurs de l’espoir et frontalité abrupte de l’abandon, Peter Bauza révèle un récit contemporain à la narration complexe. Invité d’honneur de la 5e édition du Mois de la photo porté par la Maison de l’Image, le photojournaliste explique sa vision du métier et dévoile les dessous de sa série Copacabana Palace.
Vous étiez à vos début photographe puis vous êtes devenu photojournaliste. Qu’est-ce qui a enclenché ce changement et comment définiriez-vous le métier de photojournaliste ?
Peter Bauza : Le monde de la photographie a changé. Pour beaucoup, on a commencé comme photographe : on recevait des commandes, on faisait cette photo-la, puis celle-ci. Aujourd’hui, quand tu fais un travail sur des sujets importants, je crois que ce n’est pas suffisant de faire seulement des photos. Il faut comprendre le contexte, l’histoire, choisir ce qu’on veut montrer dans le monde et écrire sur ce qu’on voit.
Je suis devenu photojournaliste avec le temps parce que c’est beaucoup plus riche et que ça permet d’écrire des histoires sur des personnes, sur des moments… On donne la voix par la photo et le texte. Chaque image a une histoire à raconter.
Dans l’Ancien Musée de Peinture, vous présentez une série intitulée Copacabana Palace. Comment est arrivé ce projet ?
J’étais en train de chercher un projet au Brésil qui montre la transformation du pays avant les Jeux Olympiques. En arrivant à Rio de Janeiro, j’ai vu l’ancien port en pleine destruction pour y mettre à la place de nouveaux bureaux. Je trouvais ça dommage et je me suis dit qu’il fallait enregistrer cette mutation. Mais je suis arrivé un peu tard, j’aurai du commencer 4 ans avant.
Alors j’ai continué mon investigation et j’ai découvert un petit bâtiment, un motel abandonné avec des graffitis, pas de fenêtres, le long du kilomètre 26. C’était en fait un squat, il y avait 30-35 familles. Je suis resté plusieurs jours pour documenter cette vie. C’est à ce moment que j’ai réalisé ce que voulait dire « squatter ».
Mais dans ce motel, je ne voyais pas encore une représentation particulière du Brésil et eux me parlaient toujours d’un endroit nommé « Jambalay », un autre nom pour Copacabana Palace, un ensemble de complexes délabrés occupés. Mais personne ne pouvait me dire vraiment où c’était. J’ai fini par trouver l’endroit à 60 km du vrai Copacabana Palace situé à Rio de Janeiro.
Quand je suis arrivé, que j’ai vu ces monoblocs avec tellement de personnes, j’ai su. Je me suis dit : « ça c’est l’endroit où je dois rester, l’endroit où je peux vraiment représenter le problème, la part obscure du Brésil. »
Il y a donc une volonté de dénoncer avec cette série photographique ?
Déjà, rien que le nom, Copacabana Palace, c’est ironique ! C’est un endroit qui n’a rien avoir avec l’hôtel 5 étoiles à Rio de Janeiro.
Puis c’est une histoire importante. Il y a plus de 300 familles, plus de 1 000 personnes, presque tous les appartements sont occupés mais dans des conditions d’insalubrité extrêmes. La plus part des « résidents » font des demandes de logements sociaux, ils ne sont jamais placés. Par exemple, Fatima ça fait 18 ans qu’elle est ici, elle a fait 5 demandes. À chaque fois on lui dit : « la prochaine fois ».
Ils sont laissés à l’abandon mais au moment des élections, les politiciens viennent, ils promettent des appartements. Dès que les campagnes sont finies, au final rien ne change vraiment. C’est un chemin très long pour avoir un appartement, c’est presque de la loterie.
Alors cette série, c’était l’opportunité de montrer quelque chose de « l’autre Brésil ».
Comment avez-vous préparé et travaillé ce projet ?
En tout je suis resté 7 mois sur place, mais le travail a commencé en juin 2015 c’est terminé en 2017. Je crois que je pourrais encore y être, mais à un moment il faut arriver à se dire : « c’est suffisant, il est temps de montrer le résultat ».
C’était pas facile au commencement, pas vraiment avec les habitants mais plutôt pour moi-même. Tu peux être un peu perdu au début dans ce genre de projet parce que tu as un scénario spécifique et ce n’est pas forcément comme ça que ça se passe. Tu dois faire attention à ne pas perdre le fil, ni la confiance des gens sur place.
Avec les semaines, ils m’ont ouvert de plus en plus les portes, ça n’a pas été trop difficile. Après il y a toujours des petits problèmes. Par exemple, les couloirs sont complètement noirs la nuit, c’est obscur comme il n’y a pas de lumière. Ou des ennuis avec des drogués ou des alcooliques, il faut faire un peu attention quand même.
Mais ce n’est pas trop grave, la plupart des gens ont été ravis de me recevoir car je venais raconter leurs histoires.
Est-ce que cette série a été montrée au Brésil ? Qu’espérez-vous avec cette série ?
La série a été montrée pour la première fois au Brésil le mois dernier ! C’est un magazine qui l’a publié. J’ai essayé pendant plus d’une année de publier ça au Brésil, mais comme le problème vient de l’État, il ne voulait pas.
Maintenant c’est visible sur Facebook et les commentaires sont très forts. Il y a une bonne réception de la part de l’opinion publique.
Après, il faut arriver à comprendre le problème dans sa globalité. Ce n’est pas facile pour l’État de trouver de nouveaux logements pour ces personnes parce que c’est cher. Puis ce n’est pas seulement la question d’avoir une maison digne, c’est aussi de penser comment on fait une maison digne.
C’est un problème général qu’il est important de traiter. Les États-Unis parlent d’un billion de personnes dans le monde sans logement ! Et une maison digne, ce n’est pas seulement un toit, c’est l’électricité, l’eau courante, la sécurité… Dans 10 à 20 ans, ils estiment à 3 billions les personnes dans cette situation ! Il est temps d’agir.