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Alice Assouline et Line Orcière, prêtresses de mythes

Telle une traque picturale aux confins des mythes collectifs, Alice Assouline et Line Orcière explorent les légendes peintes sur nos inconscients. De lieux supposés hantés en chasse sauvage, les deux artistes mènent une quête fantasmagorique par la peinture. Une Chasse commune au cœur d’un quotidien légendaire, selon des sentiers cependant différents, à découvrir à l’espace Vallès.



Elles ont fait leurs armes aux Beaux Arts de Grenoble, ont le même âge et d’une certaine manière déploient un dessein commun dans leur investissement pictural. Alice Assouline et Line Orcière se différencient cependant dans la façon d’éprouver la matière et dans l’exploration des mythes et légendes, bien qu’elles fassent appel toutes deux à une sorte d’inconscient collectif du conte.

Quand Alice Assouline n’investit pas le champ de la performance par des nappes musicales teintées d’ambient, elle s’immerge dans l’environnement lors de ses résidences pour en extraire la quintessence imaginaire des lieux. Line Orcière quant à elle use de la peinture pour révéler l’ambigüité d’une civilisation à la lisière du sauvage à travers le monde animal. La première dévoile des toiles à la peinture à l’huile, tandis que la seconde déroule une pratique plus diverse entre peintures in situ, taxidermie et toiles au stylo Bic.

Les deux artistes sillonnent toutefois une thématique commune, partant en quête de mirage à l’essence quasi réelle, qui donne toute la cohérence à cette exposition au sein des murs de l’espace Vallès. Un tableau de Chasse saisissant qui transfigure la figuration.

Nature habitée

Car, si de prime abord la nature d’Alice Assouline s’imprime dans une vision d’un paysage réel, le panorama déployé glisse sur un terrain surréaliste où même l’étrangeté souffle sur le lac nacré de l’Oisans en apparence tranquille.

S’imprégnant des mythes des lieux, l’artiste transpose les récits qu’on lui conte dans l’espace de la toile. La nature n’est plus alors tranquillité mais élément perturbateur. Les lampadaires des villes prennent un halo mystique tel des yeux qui épient dans le noir. Au gré d’une touche nébuleuse, elle donne vie au Coupeur de feu de l’Ariège, marquant le ciel de feu follets spirituels, vision trouble d’une ville en feu.

Une narration absurde et irréelle se délaie ainsi de toiles en toiles, basculant jusque dans les coins sombres d’une grotte dans laquelle le corps d’une jeune fille a été déchiqueté ou au cœur d’une clairière pendant une parade enflammée, telle une danse fauve des esprits. Le Saloon en plein brasier éclate de couleurs, laissant l’imagination explorer nos propres fantasmes. En faisant sien le mythe, Alice Assouline tente par la peinture de comprendre l’histoire des lieux.

Civilisation sauvage

À l’étage, le mythe ne se loge pas dans les recoins de la terre mais dans ceux du psychique. Arpentant des sentiers métaphysiques, Line Orcière travaille en immersion en respectant les calendriers des anciens rites de chasse dans son œuvre.

Elle tente d’en apprivoiser la nature, qu’elle soit humaine ou animale, et crée une frontière poreuse entre la civilisation et le sauvage. En utilisant la figure du gibier en tant que symbole, elle interroge notre rapport au règne bestial, que l’homme chasse selon cette convention acceptée, et pourtant barbare, de se nourrir. Elle en dévoile cette face cachée et violente.

Mais dans ses représentations, l’humain est absent. C’est à travers le décorum du bestiaire que se manifeste la fatalité du vivant. Sur une fresque in situ apparait ainsi le mythe du sang noir, mythe selon lequel le sang des chasseurs devient noir lors des battus et les plonge alors dans un état de sauvagerie, la tête des animaux peints devenant d’énormes sphères sombres.

La difformité dévoile une société de la cruauté. À l’instar de cette pièce de taxidermie où deux queues de cheval s’affichent tels des totems kitsch ou de la sculpture de veau déformé qui devient virginale par sa blancheur. Une contamination du vivant dénonciatrice, chargé de mysticisme ténébreux.

Chasse, à l’Espace Vallès (Saint-Martin-d’Hères) jusqu’au samedi 4 mars

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