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Artistes, vos papiers !

Exposition au titre ambivalent, Cent papiers dévoile cent œuvres sur papier donc et trouve véritablement sa force dans le choix des artistes présentés plus que dans la diversité de la feuille, qui s'affiche principalement en 2D. Petite sélection de pièces à découvrir sur place.

L'histoire, de l'humanité comme de l'art, est jalonnée de révolutions. De papyrus en courrier électronique, le papier a longtemps été souverain mais apparaît aujourd'hui comme un support fragile voué à disparaître. Né en Chine durant l'Antiquité, ce médium résiste pourtant et demeure une source inépuisable de création. Plus qu'un réceptacle de la forme, il peut être malmené de déchirures en perforations, de pliures en dévalements, offrant des possibilités infinies.

L'un des premiers artistes ayant ainsi expérimenté cette matière pour ses caractéristiques intrinsèques est Pablo Picasso qui, en 1912, réalise ses premiers papiers collés, dont un est exposé au Musée de Grenoble. Une brèche ouverte qui traverse le siècle jusqu'aux papiers réactifs de Sigmar Polke. Et aujourd'hui encore, la feuille s'avère être un outil de recherche plastique. Tel est le leitmotiv de l'exposition Cent papiers curatée par Élisabeth Chambon dont la thématique et le titre ont conditionné certaines contraintes : des œuvres de petits formats et l'impératif d'avoir cent œuvres (pour 87 artistes au total).

Mais plus qu'une démonstration de la diversité productive de ce support (par exemple l'art de l'origami ou de la maquette), l'exposition s'est faite selon les « affinités électives » d’Élisabeth Chambon, dévoilant au public de belles feuilles, souvent en 2D. Une plongée au cœur de la fibre possible grâce à diverses collaborations, notamment avec le Musée de Grenoble, le Musée d'art contemporain de Lyon ou encore des collections publiques et privées. Se côtoient de grands noms tels que Francis Picabia, Jean-Marc Rochette, Annette Messager, et des artistes locaux comme Gilles Balmet et Julien Beneyton, selon une narration qui tend vers la fiction.

Des mots aux corps

Une fiction qui, dans la première salle, démarre par le mot. Car le domaine de l'écrit n'est pas réservé aux auteurs et nombre d'artistes jouent de la lettre pour créer, se dévoiler ou déstabiliser. Il devient illisible avec Thomas qui, en superposant des papiers troués, propose une lecture compliquée du texte initial. Quant à Vera Molnar, ses Lettres de ma mère (sur imprimante) (1988) dévoilent une écriture brouillonne et anguleuse rendant une fois encore la lisibilité de l'écrit impossible, pour basculer vers un paysage linéaire. La ligne prend forme avec Adrien Vermont qui appose sur la feuille textes et croquis tandis que les esquisses de Georg Baselitz semblent être des croquis préparatoires devenant, par un trait incarné, des œuvres à part entière.

Les mots s'imagent d'avantage avec Fadma Kaddouri. Intéressée par l'écrivain Mohamed Choukri, elle fait se croiser son histoire et la sienne avec un signe visuel « valise », celui de la roue. Malgré la persistance de l'écriture, la ligne arrondie, qui parle autant du voyage que du corps, verse dans le dessin.

Lancés sur le chemin de l'errance et des êtres, les papiers nous mènent alors, dans la grande salle, au cœur de la figuration. Sur le mur orangé défilent Erró, Benoît Broisat ou encore Gérard Pascual dont le Pourquoi pas empreinte à l'esthétique de Picasso. Katia Bourdarel fait également référence à l'histoire de l'art avec un portrait féminin marqué par le préraphaélisme, créant un dialogue entre passé et présent. Le temps apparaît suspendu chez Jean-Pierre Ardito avec une huile sur papier où la frontière entre réel et imaginaire devient poreuse.

Paysages abstraits

Une porosité que l'on retrouve dans la section paysage avec notamment Gilles Balmet (photo article) qui, selon un procédé précis, élabore des vues montagneuses irréelles. La nature se découpe en son cœur chez Pierre Gaudu, dont les tonalités noires offrent un regard particulier à la feuille qui devient alors minérale. Deux artistes locaux qui flirtent quelque peu avec l'abstraction alors que dans la salle de la cheminée, le paysage devient complètement abstrait. Un lissage des limites qui permet cependant une plus grande expérimentation du support.

Papiers incisés, lamelles colorées, jeux de transparence, aplat perforé, les artistes emploient avec finesse le médium pour lui-même avant d'y déployer la forme. En usant d'un transfert de peinture flottante sur un papier deep violet, Patrice Pantin crée une couleur vibrante, tandis que l'encre blanche de Clément Bagot révèle les aspérités. Jill Gallieni nous plonge elle dans une écriture incantatoire et répétitive, fermant la boucle d'une exposition où la feuille demeure souvent lisse par l'utilisation qui en est faite, mais où se croise figuration et abstraction, artistes de renom, locaux et illustrateurs, dans une fiction dessinée de haut papier.

Cent papiers, jusqu'au dimanche 24 avril au Musée Géo-Charles (Échirolles)

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