Interview de Diego Zaccaria
C'est l'un des auteurs de théâtre les plus connus de l'histoire. Si William Shakespeare, auteur de Roméo et Juliette ou encore Macbeth, a raccroché la plume depuis maintenant 400 ans, il ne cesse pourtant d'inspirer les artistes d'aujourd'hui. Pour preuve : le Centre du graphisme d’Échirolles propose aux Moulins de Villancourt une exposition d'affiches de pièces de théâtre du maître. Rencontre avec Diego Zaccaria, le directeur du Centre, pour connaître toute l'histoire.
2016 marque les 400 ans de la disparition de William Shakespeare. Vous avez décidé de célébrer cet anniversaire avec une exposition d'affiches...
Diego Zaccaria : C'est la mission du Centre du graphisme que de travailler sur les univers graphiques de manière générale, et sur la communication visuelle en particulier. On défend l'affiche non publicitaire, qui peut être porteuse d'éléments critiques, de débats et de discussions. Et, dans le domaine de l'image, l'affiche de théâtre a toujours été quelque chose de particulier, d'où notre exposition. Je savais qu'il y avait une matière graphique importante et intéressante qui s'inscrit dans l'espace public, tout comme le théâtre : ce sont deux vecteurs extrêmement populaires.
Quant à Shakespeare, il y a la portée même de son œuvre. Elle est considérable et reste actuelle dans la manière qu'il avait de traiter le pouvoir. Et elle a contribué à forger la légende d'une nation.
L'exposition permet donc une plongée dans l’univers shakespearien...
Le parcours a effectivement été pensé à partir de l’œuvre de Shakespeare, selon trois parties principales : les grands mythes théâtraux fictifs comme Hamlet ou Othello, les comédies et les drames historiques. Pour les drames, Shakespeare est allé puiser dans l'histoire de l’Écosse, de l'Angleterre, afin d'en extraire des personnages plus qu'une véritable histoire. Ce n'était pas un historien mais un homme de théâtre.
Par exemple, Richard III était probablement quelqu'un d'odieux mais il en a vraiment fait un personnage de théâtre, s'éloignant sans doute du coup de la réalité. En tant que dramaturge, son but n'était pas de respecter les événements mais de restituer quelque chose de l'Histoire qui traduit une période. Finalement, les affichistes font la même chose.
Car ce sont aussi eux qui sont au centre de l'exposition, et non seulement Shakespeare !
Effectivement. On a dû faire un travail important de réalisation pour les présenter car, parfois, les affiches des uns et des autres peuvent s'anéantir quand elles sont côte à côte. L'idée était de cheminer à travers un lieu et de découvrir ou de se remémorer des pièces de théâtre, d'avoir en regard la littérature et les affiches qui ont été produites pour.
Comme il y a plusieurs publics qui viennent, on cherche aussi à avoir un discours didactique, voire pédagogique. C'est pour cela qu'on apporte du commentaire, pour que ça ne soit pas seulement une succession d'images. On cherche à développer de l'esprit critique chez les enfants comme les adultes.
Comment avez-vous sélectionné les graphistes présentés ?
Ils sont une quarantaine. J'ai fait une sélection à partir d'un corpus plus important, qui sera montré fin 2016 en Belgique. Dans ce corpus, j'ai parfois enlevé des affiches qui étaient intéressantes, mais il fallait bien faire des choix ! On a regardé des catalogues (dont ceux des grandes biennales internationales comme Varsovie ou Mexico), des bouts de collections, et également les expositions qu'on a déjà réalisées – car le Mois du graphisme existe depuis 1990 quand même !
Certaines affiches sont donc issues de nos expositions. Internet nous a aussi été utile pour repérer des images, des auteurs – on en a découvert des nouveaux assez surprenants. Mais la sélection s'est faite surtout d'après notre expérience, du coup on connaît 90% des graphistes présentés. La surprise est venue dans le traitement proposé par ces auteurs que nous connaissons bien.
Lorsqu'il y a une tension idéologique extrêmement forte, les affichistes, qui sont des citoyens comme les autres, vont s'exprimer là-dessus par l'image.
L'exposition n'est pas seulement une sélection d’œuvres graphiques, c'est aussi le témoignage d'un moment de l'Histoire. Par exemple, la Pologne du début des années 1980 confrontée à la censure...
L'exposition est révélatrice du rapport entre une pièce de théâtre et une affiche, mais aussi du métier d'affichiste : comment traduire, produire une synthèse en une seule image. L'affichiste est un traducteur parce qu'il traduit de manière visuelle une pièce de théâtre, mais c'est également un interprète car il interprète la pièce avec sa propre culture, son propre contexte, son environnement historique et économique.
Les affiches polonaises sur Macbeth ont un traitement spécifique. Celle de Starowieyski avec le nœud de serpent (1980), de Pagowski avec le rempart (1981) et de Sadowski avec un crâne en forme de couronne qui se transforme en masque mortuaire (1985) témoignent du climat de l'époque. La pièce traite de l'usurpation du pouvoir, mais c'est aussi un moment particulier pour la création : en 1981, le général Jaruzelski avait décrété l'état de guerre, il y avait la censure, une tension internationale très importante par rapport à l'URSS. Ces trois affiches traduisent les enjeux politiques de l'époque, au-delà de la pièce évoquée. L'affiche devient sociologique, elle parle de la société qui l'entoure.
Il y a donc des différences stylistiques selon l'époque et le pays...
Oui. Quand il n'y a pas de tension idéologique, l'image va plutôt se concentrer sur le personnage ou l'ambiance générale proposée par le metteur en scène. Lorsqu'il y a une tension idéologique extrêmement forte, les affichistes, qui sont des citoyens comme les autres, vont s'exprimer là-dessus par l'image. Il faudrait regarder autour de nous, ce que nous sommes en train de vivre : qu'est-ce que cette période va produire ? Certains vont s'en tenir aux codes simples de l'affiche, de façon publicitaire pour promouvoir. D'autres vont sûrement s'en saisir pour dire aussi la violence de l'époque. C'est là où ça devient intéressant : porter un regard à la fois historique et critique.
Quelle est votre pièce préférée de Shakespeare ? Et votre coup de cœur graphique présent dans l'exposition ?
Des coups de cœur, j'en ai eu 75 [le nombre d’affiches exposées – NDLR] ! Mais j'aime bien les affiches polonaises des années 1980 qu'on a déjà évoquées, notamment parce qu'il y a une double lecture. Quant aux pièces de Shakespeare, j'aime beaucoup Richard III mais j'ai une préférence pour La Tempête qui est probablement la dernière pièce qu'il ait écrite. Il y a un beau discours sur le théâtre : l'homme de théâtre ce magicien !
Pour cette pièce, j'ai sélectionné quatre affiches. Celle de Mieczyslaw Gorowski (1988) tient du surnaturel avec une sorte d'ange qui tire les fils de l'histoire, comme des signes cabalistiques, c'est vraiment très intéressant. Et en regard, il y a celle de Yann Legendre (2014) qui joue sur la simplicité avec trois gouttes, le traitement graphique n'est pas du tout le même. Yann Legendre va plutôt dans une épure mais avec un sens fort puisque la dernière goutte s'enfle de rouge comme du sang. J'aime beaucoup Yann Legendre, c'est un auteur d'une quarantaine d'années, on sent qu'il a un potentiel extraordinaire – même s'il a déjà une belle œuvre.