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Il était une fois la peinture

Malgré des techniques et des modèles différents, les univers de Marie-Noëlle Pécarrère et Dominique Lucci se croisent et s'entremêlent dans une sorte de manifeste pour la peinture figurative. Donnant la primeur aux signes, les deux artistes esquissent un fil enchanté et désenchanté empreint de métamorphoses. Un fil à suivre à l'Espace Vallès.

La peinture et la figuration ont souffert un certain moment d'un manque d'intérêt, notamment durant la deuxième moitié du XXe siècle, lorsque l'abstraction américaine était légion malgré le pop art. La peinture figurative, pourtant porteuse d'une créativité narrative puissante, annonce néanmoins depuis quelques années un retour excitant. C'est avec ingéniosité que l'Espace Vallès le démontre en mettant en parallèle deux artistes adeptes d'une imagerie absurde et poétique, et en pinceaux donc.

Dominique Lucci, Grenoblois exposé plusieurs fois dans la région, et Marie-Noëlle Pécarrère, Marseillaise dévoilée en Isère, travaillent des symboles appartenant à la mémoire collective pour aboutir à de nouvelles histoires issues de leur onirisme personnel mais dont la portée visuelle et le discours dissimulé finissent par trouver un écho commun. Par un jeu d'hybridations, animalières ou végétales, les deux artistes au style maniériste convoquent la banalité de la vie : Dominique Lucci en projetant des objets du quotidien dans ses univers en noir et blanc, Marie-Noëlle Pécarrère en tissant des références multiples dans ses œuvres. Une confrontation qui, dès lors, plonge le regard dans un récit familier revisité.

Histoires détournées

C'est ainsi que Marie-Noëlle Pécarrère propose une relecture de la vie par des pièces picturales brodées aux visuels polysémiques traitant aussi bien des expressions populaires que de l'histoire de l'art, ou encore de la musique rock'n'roll à travers des titres d’œuvres qui mettent en parallèle personnages connus et paroles d'initiés. Dès l'entrée de l'Espace Vallès, l'artiste explore dans une série des expressions de la langue française (comme le fameux "cœur d'artichaut") grâce à de moyens formats où se mêlent peinture et broderie. La forme et la façon sont directement inspirées des grands maîtres de l'époque pour un rendu baroque : en résulte des images marquées de classicisme à la frontière du contemporain avec des fils aux couleurs vives, « dégoulinant comme de la peinture ».

On retrouve cette mixité d'époque et de méthode avec une autre série de portraits dans laquelle se font face Neil Armstrong et un fou du roi (pour ne citer qu'eux) dans un joyeux bazar de fils masquant les visages. Une confrontation poussée jusque dans l'intitulé des pièces reprenant les mots du groupe de rock The Stranglers.

Enfin, avec sa Dame à l'hermine, Marie-Noëlle Pécarrère évoque la mythologie grecque et la vanité tout en détournant un ready made de Marcel Duchamp, qui trouve alors une fonctionnalité, et déconstruit les tableaux de la Renaissance par le fil. Son travail est également marqué par Gustave Courbet, qu'elle reprend souvent tel un étendard féministe pointant du doigt l'angoisse du devoir de la femme. Avec sensibilité et ironie, Marie-Noëlle Pécarrère jette un regard amusé sur la création et la société pour développer une œuvre réflexive sur le jeu des apparences.

Parler en images

D'apparence, il est également question avec Dominique Lucci. Mais l'artiste soulève une autre interrogation dans sa peinture : où s'arrête le côté décoratif pour l'art ? Une problématique lourde de sens explorée à l'étage au gré d'une œuvre in situ et de plusieurs séries. Un leitmotiv artistique qui passe par un pinceau spontané et intuitif grâce auquel l'image devient mouvante dans l'installation réalisée pour l'exposition.

Forêt luxuriante et bloc soviétique épuré se retrouvent parcourus d'étranges hybridations. Le végétal, lieu imaginaire où l'artiste injecte ses fantasme, apparaît foisonnant en opposition à la construction de l'homme en apparence dénuée de toute vie. Un parallèle que l'on retrouve dans la suite des œuvres présentées où l'univers en noir et blanc ponctué de couleurs, dans une esthétique proche de la gravure, voit naître des aspirateurs ADN fichus de perruques épaisses dont le mouvement suit celui de la nature.

À travers des compositions structurées, Dominique Lucci déploie un univers irréel fantasque qui inverse le sens commun. La série d'assiettes en porcelaine dans laquelle l'animal devient le chasseur exhibant la peau de l'homme en est un parfait exemple, ouvrant une réflexion sur notre façon de consommer. L'humain est substitué au règne de la flore et de la faune mais la main de l'artiste se promène le long de ce parcours, symbole de la partie mentale de l'activité artistique, posant la question du corps. C'est ainsi qu'une narration visuelle propre au Grenoblois s'esquisse entre incongruité et motifs de réalité, rentrant en résonance avec les allégories de Marie-Noëlle Pécarrère.

Marie-Noëlle Pécarrère et Dominique Lucci, jusqu'au samedi 19 décembre, à l'Espace Vallès (Saint-Martin-d'Hères)

Toutes les images de l'exposition ici

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