Les temps forts de la saison
Une sélection à base de Musée de Grenoble, de Spacejunk, de Musée Géo-Charles, de Moulins de Villancourt, de Muséum ou encore de Casemate.
Derrière l'artiste, la femme
Affirmer que l’art n’a pas de sexe serait remettre en cause la construction même de nos sociétés établies depuis des siècles sur un rapport de force du masculin sur le féminin. Bien que ce schéma ancestral tende à s’estomper, des fragments entiers de l’histoire de l’art ont été marqués par cette dominance au point de gommer certaines influences majeures.
Il paraît bien sûr absurde d’affirmer qu’un art puisse être masculin ou un autre féminin (encore que cette thèse demeure point de discorde et de débats à approfondir), l’évidence est pourtant faite depuis plusieurs années que la lutte des sexes a bien eu lieu au sein de l’art et que, trop souvent, les artistes féminines ont été relayées au second plan.
C’est ainsi que la saison 2015-2016 du Musée de Grenoble s’attache à offrir une relecture de l’art selon la conception féminine avec deux expositions dédiées aux femmes programmées de manière fortuite, mais dont la coïncidence permet un programme riche autant sur le plan plastique que sur celui de la réflexion délicate de la « femme-artiste ».
Georgia O’Keeffe, peintre américaine du début du XXe siècle, a su marquer la peinture avec son regard moderniste emprunté aux photographes qu’elle fréquentait. De fleurs en gratte-ciels, ses toiles rentreront en dialogue avec des portraits de l’artiste et se dévoileront en novembre (photo).
En avril, c’est Cristina Iglesias, artiste espagnole toujours en activité, qui prendra ses quartiers avec des installations où l’espace s’hybride avec la nature pour des œuvres à expérimenter. Une rencontre déstabilisante à la lisière de l’arte povera, pour une programmation où la femme qui se cache derrière l’artiste affirmera sa nécessité.
Georgia O'Keeffe, du 7 novembre au 7 février au Musée de Grenoble
Cristina Iglesias, à partir du 23 avril au 31 juillet au Musée de Grenoble
Monstres et compagnie
Alors qu’au XIXe siècle la courbe de Gauss tentait, sans succès, de définir ce qu’était la normalité, au XXe siècle, le philosophe français Michel Foucault assimilait la norme à une obsession. Le XXIe siècle en est une parfaite illustration à la fois éclatante et désolante. Tout élément qui ne rentre pas dans la case de masse est considéré comme anormal et décrié. La belle parade de Freaks (film de Tod Browning de 1932) serait aujourd’hui plus que jamais malmenée par ses concitoyens obnubilés par le contrôle d’une image uniforme de la population.
Pourtant, la nature dicte ses propres règles et exerce au sein même de l’espèce humaine toute son imagination créatrice, d’Elephant man au Bossu de Notre-Dame. Dans ce cas, qu’est-ce que la norme, qui la dicte et pouvons-nous interférer dans l’évolution universelle ?
La double proposition Montru’eux présentée au second trimestre de 2016 à la Casemate ainsi qu’au Muséum invite à interroger cette condition de normalité et aspire à voir plus loin que la différence. Si la nature même des éléments mis en scène pour l’occasion n’a pas été communiquée, la Casemate annonce une exposition consacrée aux monstres (espérons que celui du Loch Ness réponde présent), tandis que le Muséum souhaite explorer les différentes facettes de la norme et l’anormalité, qu'elle soit physique – par les exemples les géants – ou psychique – un assassin est-il une personne normale ? Autant de points qui soulèvent déjà pleins de questions.
Montru’eux, à partir du dimanche 20 mars 2016 à la Casemate et à partir du second trimestre 2016 (date à préciser) au Muséum
Shakespeare in design
Sous la plume acérée d'un dandy british, et non d'un corbeau fanfaron, est né le début de monologue le plus connu de la littérature : « Être ou ne pas être, telle est la question » demandait William Shakespeare. Roméo et Juliette, symbole d'un amour tragique ; Hamlet dont est tiré ledit monologue ; ou encore Macbeth, démonstration d'un usurpateur assoiffé de pouvoir : les pièces du dramaturge anglais sont à ce jour encore jouées et sujettes à de nombreuses reprises tant leurs thèmes sont révélateurs d'une société qui ne change pas tant.
Mais le spectacle vivant n'est pas le seul à puiser inspiration dans cette langue si riche, si bien que les mots deviennent images. 2016 marque les 400 ans de la disparition de Shakespeare : un anniversaire que le Centre du graphisme d’Échirolles souhaite célébrer avec l'exposition Shakespeare à la folie, affiches internationales.
Visible dès le vendredi 20 novembre aux Moulins de Villancourt, la manifestation s'attachera à dévoiler la forme et la sémantique de l'imagerie graphique à travers les productions de graphistes comme Yann Legendre (invité d'honneur du Mois du graphisme l'année dernière), Michal Batory ou encore Kari Piippo. Des affiches de théâtre aux approches stylistiques très différentes qui balaient le registre de l'auteur pour une plongée littéraire au cœur du signe. Une sélection qui s'annonce pointue et révélatrice du phrasé noir de l'écrivain.
Deux autres expositions viendront compléter l'hommage en mars : Michel Bouvet aime Shakespeare à la salle Aimé Césaire de Seyssins et Roméo et Juliette ou l'amour impossible à la Rampe d’Échirolles.
Shakespeare à la folie, affiches internationales, à partir du vendredi 20 novembre, aux Moulins de Villancourt
La France voit lowbrow
Dans les années 1960, le monde de l’art a explosé pour abolir (presque) toutes les frontières entre les genres et les pratiques. L’expression plastique est devenue un immense champ à défricher grâce, par exemple, à la grand-messe du Pop Art proclamée par le Britannique Richard Hamilton, véritable générateur de l'art contemporain – Pop Art largement popularisé par Andy Warhol par la suite.
Mais malgré le ton libérateur des dix premières années de ce nouvel art à expérimenter, une partie de la population artistique américaine ne voit dans ce petit monde pop qu’arrogance et élitisme. C’est en opposition à l’air bourgeois ambiant qu’est né le mouvement Lowbrow. Revendiquant une imagerie à la limite de l’indécence, les artistes regroupés sous cette bannière dépeignent la société selon tous ses travers et invoquent des icônes fortes dans le but d’interroger le bon goût académique.
Depuis une dizaine d’années, la mouvance Lowbrow a envahi le territoire européen mais demeure cependant peu visible. Dans la droite lignée de la promotion d’un art underground, Spacejunk proposera en février une exposition consacrée à ce courant souvent éprouvé par le dessin ou la peinture. Sur le papier ou la toile, les univers sont désenchantés, les éléments hybrides et les détails foisonnants.
Afin de déployer un panorama aussi qualitatif que représentatif, six artistes porteurs de cette « doctrine » seront exposés : Odö et Jérôme Barbosa, déjà évoqués dans ce journal, ainsi que Berhart, Ciou, Malojo et Veks. Et si vous ne pouvez attendre jusque-là, l’exposition passera d’abord par Lyon en novembre.
Lowbrow en France, à partir du vendredi 5 février au centre d'art Spacejunk
Les petits papier dans les grands
Si grand-mère (ou grand-père) met les petits plats dans les grands le dimanche, le Musée Géo-Charles mettra les petits papiers dans les grands dès le vendredi 29 janvier 2016 avec l’exposition Cent papiers ! Et quand on vous dit que les petits papiers sont dans les grands, c’est que la liste des artistes présentés pour l’occasion est plus qu’alléchante : Giuseppe Penone, Thomas Schütte, Gilles Balmet, Julien Beneyton, François Morellet ou encore Sigmar Polke pour ne citer qu'eux.
En collaboration étroite avec diverses institutions de la région, dont le Musée de Grenoble et le Musée d'art contemporain de Lyon, et à partir de collections publiques comme privées du XXe et XXIe siècle, l'exposition s'appliquera à dévoiler la diversité qu'offre le papier du croquis au dessin d'architecte, en passant par la gravure, sans oublier le volume ou encore les maquettes. Une véritable exploration au cœur d'un médium plein de ressources créatrices peu montré au public alors que ce support fut un véritable déclencheur de la modernité artistique avec notamment les papiers collés cubistes de Picasso et Braque.
À une époque où le papier est devenu un enjeu, l'éternel débat de la presse imprimée continuant d'alimenter fantasmes et craintes tandis que les moyens de productions diminuent, il est plus qu'intéressant de déployer cette grande fresque artistique à travers laquelle nombre d'artistes aiment à s'exprimer, que ça soit en noir et blanc ou en couleur, en deux ou en trois dimensions, en carte à jouer ou en collage.
Cent papiers !, à partir du vendredi 29 janvier au Musée Géo-Charles (Échirolles)