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Le corps de l'espace

Ayant pour postulat de départ l'architecture, la démarche plastique de Didier Faustino est née de la confrontation de cette discipline avec l'art. Il entrecroise ainsi dans ses œuvres monumentales plusieurs expressions offrant un travail protéiforme où la question du corps dans l'espace, autant que son absence, est nécessaire. En témoigne sa nouvelle exposition Des corps & des astres actuellement au Magasin.

Fruit d'une collaboration, Des corps & des astres réunit la vision plastique de Reiko Setsuda, commissaire de l'exposition, et Didier Faustino, architecte artiste. Une proposition qui trouve sa genèse dans l'architecture et offre ainsi un regard axé sur le corps, son absence et l'espace. Les incursions architecturales dans l'art ne datent pas d'hier et, dès le début du XXe siècle, des architectes ont exploré les voies plastiques : en 1920, Gerrit Rietveld tentait d'appliquer les théories de Mondrian dans le champ de la construction ; l'école du Bauhaus en Allemagne, fondé en 1901, mêlait tous azimuts design, architecture et photographie sans oublier la danse... Une telle mixité apporte un autre regard sur la création en plaçant largement le corps, domestique et urbain, au centre du propos. Et c'est bien de cela qu'il est question avec Didier Faustino, architecte franco-portugais qui, depuis le début de sa carrière, s'attache à faire corréler le corps et l'espace. Pour sa monographie présentée au Magasin, il invite le public à pénétrer dans un nouveau territoire où l'individuel se confronte au collectif avec un souci de mise en scène évident, donnant une prégnance particulière aux volumes du centre d'art. Dévoilant des projets menés ces 15 dernières années, il a également conçu une œuvre in situ pour la rue, allée principale du centre : l'un des points forts de l'événement, on y reviendra. La seconde pièce phare consiste en des modules gonflables, on y reviendra également. Le reste du parcours demeure plus plat, notamment la pièce ornée d'étoiles au sol qui apparaît quelque peu kitsch. L’œuvre ayant été initialement conçue pour la Biennale de la Havane, elle perd beaucoup de sa force sémantique sur le béton froid du Magasin, le travail de l'architecte étant bien plus pertinent lorsqu'il s'attache aux masses.

Corps hybrides

De volume, il est ainsi question avec la pièce Décors & Désastres (2013), dont l'exposition tire son nom, présentée dans la deuxième salle. De grands modules gonflables parsèment l'espace et s'entrecroisent, s'emmêlent, se démêlent comme autant de corps organiques qui s'unissent, se démultiplient, se reforment, et qui deviennent des entraves. Ce projet a vu le jour suite à la commande du chorégraphe Richard Siegal pour l'un de ses spectacles. Les danseurs devaient jouer avec les sculptures parées de noir, créant ainsi un paysage en mouvement, permettant une reconfiguration continuelle. Dans l'espace du Magasin, l’œuvre demeure puissante et délivre une complémentarité troublante entre le corps et son absence. En présence de ces êtres fantomatiques se dresse alors un paysage abstrait dont l'esthétique du vivant mis en abyme renvoie à une forme de désir à travers le noir, signifiant masqué du latex, et à une forme de questionnement sur la construction d'un environnement selon ses propres contraintes mais aussi celles liées à l'humain.

Briser les lignes

L'humain est également présent dans la création in situ Vortex Populi (2015), mais de manière plus métaphorique. Cette œuvre monumentale faite de barrières Vauban, qui partent dans un tourbillon infernale, a d'abord été imaginée pour répondre à l'architecture de la rue du Magasin, entre volume important et déballe de ferraille sous la verrière. Malgré l'aspect pesant de l'objet et la froideur apparente du matériau, l'installation devient synonyme de légèreté, pleine d'espoir mais aussi d'agitation. Car en réalisant cette pièce, Didier Faustino a voulu bousculer la fonction première de la barrière, créée par l'architecte Sébastien Le Prestre de Vauban au XVIIe siècle, qui est celle de contrôler, d'orienter. En relevant le défi de l'espace et en envoyant dans les airs ces remparts, l'artiste brise les frontières humaines et géographiques. La courbe peut également être vue comme une structure ADN afin « d'envisager le monde différemment ». L'installation divulgue alors un message sociopolitique qui s'inscrit pleinement dans les préoccupations de l'architecture contemporaine. Et au-delà du message véhiculé, l’œuvre dessine un double vortex tumultueux impressionnant où le geste a autant d'importance que la matière. Une matière d'ailleurs que l'on redécouvre. Usée par le regard quotidien, ces barrières ne sont plus que des images de manifestation alors que, dans l'enceinte du Magasin, on contemple un objet, certes au design simpliste, mais dont l'assemblage crée un tourbillon visuel délectable.

Des corps & des astres, jusqu'au dimanche 3 janvier 2016, au Magasin - CNAC

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