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À la vie, à l'art

Partant du postulat que notre perception de la vie est inéluctablement liée à celle de la mort, le Centre d'art Bastille propose une lecture nouvelle de cette troublante expérience quotidienne à travers l'art. Visite guidée de l’exposition Infiltrations et zoom sur un lieu culturel atypique.

Il y a des initiatives étudiantes qui aboutissent à des projets fructueux et pertinents. Dans le cadre du festival Mortel organisé par le service culturel de l'université en mars dernier, et suite à un workshop réalisé avec l'équipe du Centre d'art Bastille, quatre étudiants (Robyn Wilton, Laura Villena, Raphaël Corsino et Chloé Pommaret) se sont interrogés sur la notion de mort, thème de la manifestation. Au gré de déambulations mentales, le projet a été orienté vers un nouvel angle, prenant le contre-pied de la dimension macabre de notre existence. Faisant l'expérience de la vie au quotidien, nous sommes également confrontés à la mort sans forcément pouvoir en appréhender la dimension funeste. C'est ainsi que s'exprime l'un des grands principes de l'humanité : la mort effraie car nous ne pouvons l'affronter. Cherchant à dépasser cette peur et cette fragilité, l'exposition intitulée Infiltrations propose une approche distanciée et nouvelle de la mort en dévoilant comment l'art infiltre la vie, et par la même occasion notre idée de la mort, en vue d'adoucir les peurs collectives et individuelles et de pousser l'humain dans une autre vision du vivant. Un angle complexe mais astucieux illustré avec treize artistes, sélectionnés par les étudiants pour leur capacité à créer des microdécalages dans leurs œuvres, réinventant les signes de notre environnement pour une nouvelle perception du monde.

Ouverture du réel

Certaines œuvres s’attachent ainsi à proposer une multitude de possibles. À travers le langage et de manière symbolique, les quatre bâtons de Julien Bismuth posés verticalement contre le mur et portant chacun une lettre, de A à D, portent une réflexion sur la communication et suggèrent que la langue peut être autant de façons de voir le monde et ses mutations, d’où le titre de l’œuvre A train of thought. D’esprit il est également question avec la sculpture Socrate de Benoît Maire. Disposé sur une table en marbre, un buste de savon représente le philosophe avec en son crâne un couteau enfermé : l’ustensile renvoie à la pensée philosophique du libre arbitre qui permet de faire des choix. Julien Prévieux, avec sa série FAQ {Foire aux questions} de quatre tableaux aux formes géométriques accompagnés d’énoncés, fait référence aux ouvrages scientifiques des années 1970 pour interroger le domaine du savoir et par extension celui de la vie et de la mort. Dans le tableau de David Lefebvre, c’est une tout autre vision qui est proposée : celle d’une ouverture virtuelle vers un autre monde matérialisée par un personnage se tenant sur un pont au bout duquel des stries colorées ressemblent à un codage, créant une évasion vers un autre espace spatial et temporel.

Fugacité du temps

Notre rapport au temps est d’ailleurs l’un des facteurs déterminants de notre crainte de la mort et de la fuite de la vie. Avec Dimension-8, Alicja Kwade tente de capturer le flux de la durée tout en se rendant compte que l’instant ne peut être enfermé. C’est ainsi que le mécanisme de l’horloge présentée se trouve être déréglé : une seconde de l’œuvre représente en réalité 8 secondes. La perception du moment est altérée et redéfinit le rapport entre le temps et le présent dans une sorte de spirale infinie. Chez Adrianna Wallis, c’est l’objet qui retrouve une matérialité qui semble sans fin. Rare et magnifique est un travail de six mois durant lequel l’artiste a récolté sur Internet des objets référencés comme « rares » et « magnifiques ». Suite à cette quête, les trouvailles ont été hachées, devenant poudre sans identité, puis moulés en douze lingots. Ici, si la démarche cherche avant tout à redéfinir la valeur des choses, elle montre également que le temps fait œuvre sur les éléments. Alors que chez Clôde Coulpier, le temps est figé. Les tiges fluorescentes posées à même le sol et aujourd’hui sans effet dévoilent les vestiges d’une célébration terminée, Il y a dix minutes c’était encore la fête, mais signifient de manière plus large la dimension fugace de l'existence. Avec Béquilles, Benoît Pype s’intéresse directement au caractère évolutif de la vie marquée par le temps qui passe en disposant des herbes à la verticale alors maintenues par des tiges, tandis que ces dernières commencent leur processus de désagrégation durant l’exposition. L’œuvre Jean-Marie Perdrix met le point final à cette réflexion avec sa Demie chienne perdue. Le bronze exposé a été réalisé par « moulage à chair perdue », dont le résultat n’est autre que la fusion du matériau dans le charbon et les os de la bête.

Infiltrations, jusqu'au dimanche 6 septembre, au Centre d'art Bastille

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