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Entre cocasseries et émotions

Presque un siècle après le premier ready-made de Marcel Duchamp, le Grenoblois Quentin Armand réexplore cette notion d'objet manufacturé considéré comme œuvre d'art avec une portée poétique nouvelle. Artiste polymorphe, véritable ethnologue de la matière, son travail est actuellement exposé au Centre d'art Bastille. Rencontre avec un prestidigitateur du réel.

« J'ai commencé un peu comme toute le monde, par hasard en quelque sorte. Enfant, je ne rêvais pas d'être artiste. Je me souviens avoir répondu une fois à un journal lors d'une foire : quand j'étais petit, je voulais être inspiré. » Aujourd'hui installé à Grenoble, Quentin Armand (né en 1977) a grandi à Biarritz sur la côte Basque, plus réputée pour le surf que pour son offre artistique. C'est alors en lisant Virginia Woolf et F. Scott Fitzgerald qu'il découvre la richesse d'une culture qui s'ouvre peu à peu à lui.

Au sortir du bac et après un détour non concluant en licence d'histoire-géo, Quentin Armand se dirige vers les Beaux-Arts de Pau sur les conseils d'une connaissance. « Pau, c'est un petit Grenoble, ce n'est pas un contexte très urbain. C'était en 1997 et à l'époque Internet venait juste d’apparaître, on n'avait pas les informations qu'on a aujourd'hui. On était dans une expérience. » Une expérience centrée sur la peinture, qui s'est prolongée par la suite à Grenoble, l'école de Pau ne dispensant que les deux premières années du diplôme. « Quand je suis arrivé à l'école d'art de Grenoble, on avait un ordinateur pour 50 personnes. Il y avait un rapport à la technologie, tout le monde faisait des installations vidéo, c'était un univers différent et le début de quelque chose d'autre, notamment avec les caméscopes numériques. »

Il s'essaye à de nouvelles formes d'expressions plastiques pensant trouver une voie bien précise, mais l'étudiant curieux de chaque matière n'arrive pas à se fixer. Il obtient son diplôme en 2002, rejoint le Palais de Tokyo en post diplôme juste après, réalise une résidence en 2007 en Lituanie, est représenté un temps par des galeries à Paris. Un parcours ponctué d'aléas malgré les ouvertures, mais surtout de rencontres qui nourrissent son œuvre.

Le talent des autres

« Quand on est artiste, on fait une activité qui ne sert à rien, du moins qui n'est pas essentielle dans la vie de tout les jours, tu deviens un chromosome facultatif et tu cherches à inventer ton rôle dans une équipe. » Lorsqu'il revient à Grenoble en 2004, il fait la rencontre de Jean-Pierre Rodriguez, ébéniste dont l'atelier était alors rue des Bons Enfants. Une rencontre importante qui va se sceller par une collaboration de 5 ans. « C'est ce matériau-là qui compte, c'est le bien commun, le pont qu'on peut établir avec des gens qui ne s'intéressent pas ou peu à l'art contemporain. »

Quentin Armand est dans une démarche généreuse qui lie ainsi l'humain et un intérêt féroce pour le degré premier de la matérialité. Avec cette matière, il tente de construire et développer une conversion tangible de l'objet initial en retirant le discours élémentaire, autrement dit sa fonction usuelle, pour aller vers une autre essence, plus cocasse. Le support est alors transfiguré et la force de l’œuvre réside dans ce cheminement vers une vie nouvelle, un réel réinventé.

"Reliance" narrative

Every penny has a soul, exposition présentée actuellement au Cab, déploie un ensemble disparate d’œuvres qui tissent une logique inhérente à la démarche même de l'artiste. Une première monographie qui rassemble installations, sculptures, dessins, dans une expérience totale de l'architecture : de la création au lieu même. Avec une vision baroque conceptuelle de son travail, il conditionne un art de la phénoménologie où l'énergie vitale des productions tient dans « la “reliance” narrative, le flot et la capacité des choses à connecter les différents éléments. » De la caverne de papier ornée de dessins (parallèle entre un art primitif et un habitat devenu immersif), au sens interdit épinglé de plumes blanches (détournement poétique de l'infraction), à la girafe papillon suspendue au dessus de l'eau (déplacement d'une iconographie populaire en même temps que création d'un monument) : tout le parcours s'amuse à développer une nouvelle vision du quotidien dans un rapport organique aux éléments et une contemplation subversive.

« Je voulais faire les choses en grand, pour moi c'était une façon de valider mes idées plastiques et conceptuelles au moins une fois dans mon rapport à l'économie de l'art et à ma démarche poétique. » Mais ce qui anime avant tout l'artiste, c'est l'émotion qu'il peut procurer à autrui. « J'ai un ami collectionneur qui est venu pendant le montage, et à un moment, il a été ému devant la girafe. Je me suis dit : dans ma vie j'aurai fait ça, participé à l'émerveillement de ce gars, peut-être seulement cinq minutes, mais c'est l'idée. » Avec cette exposition qui interroge la notion de récit poétique à travers une construction de l’architecture et de l'habitat, Quentin Armand explore ainsi un champ d'images sublimé et espère s'inscrire dans la scène locale concrètement, « en partageant par exemple un atelier avec des camarades ».

Every penny has a soul, jusqu'au dimanche 29 mars (prolongation jusqu'au dimanche 10 mai), au Centre d'Art Bastille

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