Penone, vie sauvage
Rendre perceptible l'invisible et faire de la matière une enveloppe mémorielle commune sont les desseins mis en œuvre par l'artiste Giuseppe Penone. Considéré comme le benjamin de l'Arte Povera, l'Italien dévoile au musée de Grenoble un ensemble de pièces dont le dialogue vise à la vitalité de l'émotion. Rencontre avec un artiste du vivant.
Alors que les Américains (Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg...) envahissent la scène artistique à la fin des années 1960, les Italiens répliquent en développant ce que le critique d'art Germano Celant définira comme l'Arte Povera – autrement dit l'art pauvre. Germano Celant décrit cette mouvance comme une réaction face aux mouvements artistiques dominants en utilisant des matériaux naturels et périssables pour leur connotation anti-industrielle et l'absence de référence culturelle.
Au milieu de cette guerre, le jeune artiste Giuseppe Penone, alors encore étudiant aux Beaux Arts de Turin, débute son œuvre. Né en 1947 dans la province de Cuneo, l'Italien grandit immergé dans la nature, créant un lien profond et perpétuel avec le vivant. « J'avais 21 ans quand j'ai commencé à travailler. J'ai débuté avec les éléments que je connaissais le mieux : la nature, qui aujourd'hui encore nourrit mon travail. » Une démarche artistique qui colle à l'air du temps faisant de Penone le benjamin de l'Arte Povera. Mais plus qu'une réaction antiaméricaine, Penone y voyait et y voit encore « la prise de conscience d'une réalité changée, une réalité sociopolitique très différente avec de nouvelles possibilités de vie », et donc d'art.
Saule enchanteur
Bien que le mouvement soit de court durée, Penone prolonge son travail sur la matière végétale comme si l'artiste communiait depuis toujours avec la nature, et plus spécifiquement avec l'arbre. « C'est un élément qui m'a toujours fasciné. Mes premières œuvres ont été sur sa croissance, en relation avec mon propre corps. En regardant les arbres, j'ai compris la complexité d'une forme de vie qui est exemplaire du point de vue sculpturale. » J'ai empoigné un arbre (1968) est souvent citée comme sa première pièce marquante : il fixe un moulage de sa main sur un arbre, laissant le temps faire son œuvre sur ces deux corps distincts et indistincts. Une intervention fondatrice pour l'artiste qui se tourne alors vers tous éléments organiques qui entourent l'homme, cherchant à rendre perceptible les ponts universels entre les règnes minéral, végétal et animal. « Les frontières entres les différents éléments ne sont pas si nettes, il suffit de se déplacer et la conception de ce qui est fluide devient solide, de ce qui est vivant devient mort. Il y a toujours du changement, il y a une telle confusion dans la réalité des choses. »
L'empreinte devient alors un pan important dans la démarche cyclique de l'artiste. Vert du bois (1986) représente son empreinte corporelle qui se fond avec celle du bois par frottage sur un tissu, révélant l'essence des fluides et flirtant entre abstraction et figuration dans une esthétique métaphorique. Pour révéler toute l'immensité et la richesse de ce magma, Giuseppe Penone use du dessin, de l'écrit, de l'installation et surtout de la sculpture et du moulage, avec un rapport intense à la matière comme le cuir, le bois, la terre cuite ou encore le marbre.
Une émotion commune
Rapidement, l'artiste côtoie le circuit des galeries avant d'être exposé au Kunstmuseum de Bâle en 1977, à la National Gallery of Canada en 1983, à la Biennale de Venise en 2007 : un bref aperçu d'une carrière dense. En 2004, l'Italien bénéficie d'une grande rétrospective au Centre Pompidou (Paris) et dix ans plus tard, il revient en France, à Grenoble, pour une nouvelle exposition. « Je connais Guy Tosatto, le directeur du musée, depuis très longtemps. Il m'a suivi dans le développement de mon travail. Il est revenu vers moi récemment pour que l'on fasse une exposition ensemble, j'ai dit oui. »
C'est ainsi que Giuseppe Penone investit le Musée de Grenoble depuis vendredi dernier, non pas pour une rétrospective mais pour une présentation sensible et libre de son œuvre des débuts jusqu'aux dernières créations, datant de 2014. « On a réfléchi comment créer cette exposition : l'idée était de faire un parcours dans le dessin, puis le reste s'est mis en place en fonction de l'espace et de ses possibilités. » Associant œuvres anciennes et récentes, la scénographie permet de constater comment les pièces sont liées les unes aux autres, et cela même lorsqu'elles ont presque quarante années de différences. Une approche pertinente pour rendre compte d'un travail qui s’établit dans le temps et par le temps, d'une création en perpétuelle recommencement.
Découpée selon cinq thématiques, l'exposition répond « à une certaine logique et chaque salle tente d'indiquer un aspect ou une réflexion sur le travail ». Mais au-delà de la recherche de justesse intellectuelle, le parcours s'élabore selon l’œuvre de Penone : avec sensibilité. « Je n'ai aucun message à donner, mais ce que j'aimerais, c'est que le public ait la même émotion que j'ai eue en faisant le travail, ou en ayant l'idée du travail. Je pense qu'une œuvre doit arriver à transmettre la vitalité de l'émotion de celui qui l'a faite. »
Giuseppe Penone, jusqu'au dimanche 22 février 2015 au Musée de Grenoble