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Jeu d'images, jeu de regards

Questionner l’image et la scénographie, c'est ce que proposent les expositions The blackbird must be flying et Project Room actuellement au Centre d'art Bastille. Jouant sur la répétition et la modification de l'espace, trois artistes offrent un mélange plastique pertinent et contemplatif, comme autant de façons de percevoir les choses.

Trois artistes pour deux expositions, c'est le programme actuellement dévoilé au Centre d’art Bastille. D’un côté, la proposition The Blackbird must be flying élaborée par l’Autrichien Nick Oberthaler et le Suisse Thomas Julier ; de l’autre Project Room mise en place par le Grenoblois Hugo Scibetta. Malgré le découpage de l'ensemble, les deux parties ne sont pas hermétiques et les projets interagissent pour donner deux expositions en une avec un espace de confrontation de l’image, selon plusieurs modes opératoires.

Le binôme prend pour point de départ le poème Thirteen ways of looking at a blackbird de l'Américain Wallace Stevens, publié dans l’ouvrage Harmonium en 1923. Ils reprennent à leur compte cette idée de regarder un merle sous treize angles différents, en permutant l'oiseau par un élément commun à leur travail : la scénographie, ou l'art de mettre en espace une exposition. L'interrogation de l'image se fait donc par une mise en abyme habile, qui s'avère plus frontale avec Hugo Scibetta mais tout aussi pertinente. L'artiste cherche dans l'origine de la peinture les fondements de notre imagerie du XXIe siècle en l'assimilant aux outils numériques de demain. C'est ainsi que les œuvres des trois artistes s’enchevêtrent pour donner plusieurs niveaux de lecture, avec une multiplicité de points de vue et de réflexions.

Démultiplier le regard

Une profusion de sens qui s'ouvre avec les médiums respectifs des artistes : Nick Oberthaler est peintre minimaliste, Thomas Julier photographe figuratif. Leur matérialité est pourtant complémentaire, et quand l'Autrichien peint à la manière d'un photographe sur des plaques servant habituellement à l'impression de visuels, le Suisse réalise un travail de post-production de l'image qui fait basculer la photographie dans une certaine forme picturale. Dès lors, le concept de regarder un même élément – le merle chez Wallace Stevens et l'espace pour le duo – de treize manières différentes commence déjà à ouvrir la réflexion de l'image.

Cette recherche est prolongée par l'utilisation de symboles récurrents chez l'un comme chez l'autre. Le peintre reporte sur de nombreuses toiles une forme géométrique noire, quand le photographe prend pour modèle le portrait d'une jeune fille. La question de la persistance de l'icône rentre en jeu et n'interroge pas seulement la mémoire mais la répétition du modèle qui donne au projet de multiples facettes. Photographies, peintures, néons et tables collaboratives composées de peintures et de photographies rentrent ainsi en résonance selon une scénographie précise qui tend à redéfinir l'espace pour générer plusieurs visions des travaux présentés.

Dès l'entrée de l'exposition, la circulation est modifiée par la présence d'un mur, élément qui ponctue le reste de la visite comme une barrière rythmant une promenade hautement contemplative. Ces murs semblent introduire des fragments du "white cube" mais leur aspect brut les repousse, présentant une nouvelle imagerie dans laquelle le dialogue entre les deux artistes naît de superpositions répétitives de leur travail individuel et commun.

Archéologie du numérique

Une superposition qui devait se limiter à ces deux univers mais qui finalement s'accorde avec un troisième, pensé en solitaire tout en rejoignant les mêmes interrogations sur l'image. La première incursion d'Hugo Scibetta dans l'exposition est visible dès la deuxième salle, condensé des œuvres des trois artistes dans une même temporalité. Le travail du Grenoblois devient comme une synthèse des deux autres : reprenant des tableaux de grands maîtres, il ôte la couleur pour ne garder que la texture de la peinture qu'il imprime en deux dimensions.

La dernière salle présente un ensemble de trois images monochromes derrières lesquelles se cachent en réalité des huiles de Manet ou encore Van Gogh. Sur des sortes de châssis en métal, éclairées par des projecteurs de chantiers, les œuvres deviennent des études de la peinture autant que des études d'une image virtuellement fabriquée. Au pied de chaque impression se trouve une poubelle dans laquelle l’œuvre originale est jetée, telle une archive, reprenant chacune les couleurs de l'ordinateur : rouge, vert et bleu. Hugo Scibetta incarne l'image d'un artiste archéologue qui explore les fondements de l'image de tout temps. Le visuel est ainsi décomposé pour être recomposé à l'aide d'outils numériques, questionnant non seulement l'image mais l'artiste à l'ère d'Internet, et la lumière.

The Blackbird must be flying + Project Room, jusqu'au dimanche 4 janvier, au Centre d'art Bastille

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