Shirley, un voyage dans la peinture d’Edward Hopper
Au gré de treize tableaux célèbres de l’artiste Edward Hopper, figure de proue de la peinture moderniste du début du XXe siècle, le réalisateur autrichien Gustav Deutsch donne vie à ses scènes picturales. La vie de Shirley, actrice américaine dans les années 1930, est ainsi esquissée pour une « vision de la réalité », qui s’avère ennuyeuse.
Vision de l'ennui
Profondément cinématographique, offrant une esthétique épurée à l’éclairage saisissant, la peinture de l’Américain Edward Hopper (1887-1967) est sans conteste un matériau fécond, porteur d’une vision claire de la réalité. Car malgré un sujet passé – la classe moyenne américaine des années 1950 – les thèmes abordés dans les toiles sont toujours d’actualité : des êtres seuls, en proie à la dépression dans une société vidée de son âme. Il n’est pas donc pas étonnant que son œuvre, marquée d’une empreinte naturaliste séduisante, ait fini par être transposée au cinéma.
Sélectionnant treize peintures célèbres de l’artiste, l’Autrichien Gustav Deutsch porte à l’écran la touche d’Hopper. Les séquences se succèdent comme les toiles sont bien (trop) souvent accrochées dans un musée : de manière chronologique, et on y retrouve à chaque fois Shirley, actrice américaine, pour des segments de vie entre 1930 et 1960. Cette figure féminine, dont l’actrice elle-même conte le récit en voix off, n’est autre que la compagne de l’artiste. Dès les premières images, on retrouve le coup de pinceau d’Hopper, l’atmosphère et l’esthétique si particulières de ses tableaux. Un style épuré et dépouillé, des lignes graphiques qui soulignent l’errance des personnages. Se déroule alors devant nos yeux une fresque sublime, dont les étoiles disparaissent bien vite.
Une mélancolie sous-exploitée
Car s’il est vrai que la peinture de l’Américain est cinématographique (elle a par ailleurs inspiré nombres de réalisateurs comme Alfred Hitchcock ou Jim Jarmusch), le film de Gustav Deutsch est pure mimétisme picturale, dans lequel il ne se passe rien. Le cinéma n’est pas une toile montée sur châssis, et le réalisateur semble malheureusement l’avoir oublié. À trop vouloir coller aux œuvres, il oublie l’essence même de cet art : une vision de la réalité teintée par les sensibilités des personnages. Le « recopiage » donne ainsi naissance à un film âpre, voir asséché, où l’émotion ne surgit jamais réellement, à l’exception de la scène dans laquelle Shirley récite un texte de théâtre. Ironie du sort, c’est lorsque Deutsch sort de la peinture que son regard s’étoffe. Il avait pourtant toutes les cartes en main pour faire un beau film naturaliste, à l’esthétique synthétique mais romanesque.