Par-delà l'entrelacs
Patrick Sirot est un conteur contemporain, mais surtout un mangeur d’encre insatiable. De son geste obsessionnel de dessinateur nait des images polysémiques où de petits soldats du monde côtoient des personnifications animalières. Au milieu des ces entrelacs délicats, inscrits parfois à même les murs de l’Espace Vallès, un message ludique et poétique éclot.
Patrick Sirot manie le crayon comme il manie les mots, avec fantaisie et justesse, comme le prouve le titre de l’exposition The inkeater, actuellement à l’Espace Vallès. Cet anglicisme est pure invention de l’artiste et se traduit littéralement par « mangeur d’encre ». Une expression, pour ainsi dire, qui dévoile la particularité du dessinateur : une utilisation presque boulimique du trait. Cette obsession offre un dessin délicat par lequel les lignes ne cessent de se croiser pour mieux s’espacer par la suite et créer un univers tout en subtilité. La force du tracé ne se révèle d’ailleurs que lorsque l’on s’approche et que l’on découvert la minutie du travail. Une précision mise au service d’un propos encré dans la réalité, en prise directe avec l’actualité. L’artiste s’intéresse ainsi aux grands événements qui jalonnent notre époque, estimant qu’une réflexion de l’art sur l’art ne permet pas de se connecter avec le public. Glanant des petits soldats dans les marchés, il se sert de ses trouvailles pour faire des mises en scènes burlesques qu’il esquisse en suite sur le papier. Des figurines cabossées sortent des excroissances rouges et blanches. À la fois image ludique et en décalage avec le dessin, ces sortes de sucres d’orges vivants viennent abîmer, ou sublimer, la composition comme pour accentuer le message de l’artiste. Mais dans cet univers en noir et blanc, ces membres burtonesques permettent aussi d’ajouter du pittoresque dans un monde altéré.
Bestiaires de fable
Car malgré la beauté du dessin, l’artiste dénonce avant tout les travers de l’humanité. Dans une forêt tropicale, un homme à tête de mouton se retrouve confronter à un éléphant. La mémoire et le mouton blanc (2013) sonne comme un avertissement aux missions des soldats à l’étranger, tandis que Le lapin hors du chapeau (2012) révèle la supercherie de notre société, l’animal étant mort. Une narration se met en place, mais la question du récit, artistique comme sociale, reste ouverte car l’artiste offre seulement le début des scènes. Patrick Sirot aborde les enjeux politiques dans leur généralité et les réinterprète sans cesse avec dérision.
The Inkeater, jusqu’au 10 mai, à l’Espace Vallès
via Le Petit Bulletin