De la rue à l'atelier, et retour
Jean Faucheur, ou l’art de la tromperie, succède à l’Atlas sur les murs de la Percept Gallery jusqu’au 23 novembre. Sobrement intitulée Being #1, l’exposition dévoile un travail percutant interrogeant la perception de l’image selon un processus de disparition-apparition. Mais assez parlé de l’artiste, parlons avec l’homme.
Alexandre Sadin, le galeriste, vous décrit comme une « figure historique de la peinture urbaine ». Pourtant, l’œuvre qui nous ai donné de voir sur votre site Internet, seule source alors à notre disposition, ne montre rien de tel. Alors, qu’en est-il de cette période street ? Est-ce ainsi que vous vous voyez ?
J’ai commencé à investir la rue dans les années 1980, ce qui m’a amené à côtoyer quelques figures urbaines de l’époque à Paris. Je faisais des peintures en atelier, puis je les collais sur des panneaux publicitaires. Ça a donné différentes directions à mon travail tout en maintenant un équilibre entre une pratique artistique de studio et une de rue. Étrangement, et je dis ça avec ironie, il ne reste rien de cette production. Les rares photographies que je possédais de ces interventions ont disparu, ce qui demeure l’impulsion de mon processus créatif : la disparition. A la fin des années 1980, j’ai quelque peu délaissé l’art urbain pour retourner uniquement en atelier et m’adonner plus amplement à la sculpture et la peinture, à une dimension plus classique. Et ce n’est qu’à partir des années 2000 que j’y suis revenu mais par le biais d’autres artistes, en réactivant la passion de l’art urbain à travers des collectifs. Mon objectif était de dé diaboliser ce courant là, à une époque où c’était compliqué : les artistes passaient plus de temps en garde à vue qu’en galerie. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment le cas. Il me semble qu’être attentif à ce qui se fait aujourd’hui dans la rue, c’est regarder ce qu’il y aura demain dans les musées. L’espace public offre un renouvellement incessant de formes, et je ne sais pas si je suis la dite figure décrite, mais je pense que mon travail est marqué par ce que j’ai pu faire à mes débuts.
Vous avez un travail éclectique, et quand on regarde votre parcours on se demande quel est le lien entre un portrait photographique, une sculpture animale et une montagne peinte « grossièrement » ?
C’est exactement la même chose. Le sujet ne fait pas, je dirais même le sujet n’est pas le sujet. Quand on voit une peinture de Rothko ou de Picasso, qu’est ce qui est important ? Ce qui est représenté ou ce qui est véhiculé ? Pour moi, il est évident que c’est le sentiment véhiculé. Après, que ça soit fait avec une sculpture ou une peinture, une figuration ou une abstraction, c’est du pareil au même. Souvent on oppose figuration et abstraction, mais dans mon travail cette opposition n’existe pas. Seuls le ressenti du commun et la perception mentale de l’image m’importe.
Cependant, vous ne pouvez nier qu’il y a plusieurs sujets dans votre œuvre. Quels sont ces différents points d’ancrage ?
Je m’accorde la liberté d’aller où j’ai envie d’aller, tout en conservant tout de même une certaine continuité. Je travaille beaucoup sur la figure humaine, sur le visage, c’est une obsession. Le sujet n’est pas primordial mais c’est une façon de se fixer, c’est un mode d’entrée dans la création. Pour autant, ce n’est pas moi qui décide, c’est la toile qui décide d’aller où elle veut aller. Dans chaque œuvre, il y a une partie que l’artiste ne maitrise pas. Des fois, l’œuvre vous échappe et elle prend un chemin qui lui est propre, et ça c’est très intéressant.
Sans toujours savoir quelle direction prend votre œuvre, vous avez pour autant la volonté d’interroger l’image, si bien dans sa dimension visuelle que mentale ?
J’interroge effectivement l’image mais au-delà ça, ce qui m’intéresse c’est que les gens s’intéressent, j’ai envie de les perdre. Dans cette exposition, il y a toujours de l’ambigüité dans l’image : qu’est ce qui est de l’ordre de la photographie, de la peinture ? On doit se rapprocher, s’éloigner afin d’appréhender l’image. C’est un processus naturel qui s’opère chez le spectateur, cette tentative de comprendre comment est créée l’œuvre car souvent il a peur d’être trompé. Mais c’est bien. Je ne perturbe pas le public avec les sujets que je véhicule, mais avec le médium. Ma volonté est que les gens s’arrêtent et ne fassent plus fonctionner leur intellect, qu’ils se détendent pour enfin savoir s’ils apprécient l’image. Mais avant d’en arriver là, il faut leur donner une claque. Personnellement, je n’utilise pas la provocation car ce n’est pas ma façon de faire, j’use des mystères des médiums. Je cherche à faire rentrer l’autre dans un univers. Quand je fais référence à une image, je fais référence au mental.
Vous dites chercher à perturber le public, c’est un acte quelque peu violent qui peut conduire à une incompréhension de votre travail ? Cet acte est-il nécessaire ?
Je ne le vois pas comme ça. Quand je prends une image imprimée sur laquelle je peins jusqu’à la faire disparaître, et que vous ne savez plus où est la toile imprimée, à un moment donné votre mental doit s’arrêter pour pouvoir ressentir la relation profonde, ou pas d’ailleurs, que vous pouvez avoir avec l’œuvre. Il arrive que des gens qui me disent « je ne me connecte pas à votre travail ». Fort heureusement car l’art ne peut pas toucher tout le monde. Une œuvre, pour l’apprécier il faut rentrer dedans à un moment donné.
Pour cette exposition, on ne sait si le public va « rentrer dedans » mais ne prenons le pari que oui, vous avez réalisé une résidence à partir du mois août. L’ensemble des pièces ont été réalisées à ce moment là ?
Seulement deux pièces ont été produites auparavant, en 2004 ou 2006, je ne sais plus la date exacte, mais ça n’a pas d’importance. Pour le reste des œuvres, je suis parti d’images imprimées sur lesquelles j’ai effectué un travail de disparition-apparition avec des tâches à l’aérosol, du tressage, des coulures. L’image est saturée, recouverte. Ces nouvelles pièces sont en réalité des pistes de travail que j’explore et qui seront traitées par la suite à une autre échelle. J’ai un projet de livre, dont le titre traduira ma pensée de l’art Tout doit disparaître.
La disparition demeure la genèse de votre travail ?
J’ai effectivement envie que l’image disparaisse. Quand je faisais des choses dans la rue, lorsqu’une de mes affiches était recouverte, cela créait chez moi une sorte de jouissance. Je suis toujours dans l’idée du faire disparaître et du faire apparaître. J’explore cette dimension créative en profondeur, et la disparition est pour moi très jouissive. C’est quand on détruit quelque chose, dans une société qui prône une religion de la conservation, que l’on se rend compte de son existence, c’est pour cela que ça dérange les gens. Tout l’art urbain parle de l’éphémère et ça, au final ça rend les gens heureux parce qu’ils prennent conscience de la disparition. C’est extrêmement productif, on est obligé de passer autre chose.
Tout converge finalement vers l’image, éphémère même sur châssis, quelle soit empruntée à l’histoire de l’art ou piochée dans le répertoire publicitaire. Il n’y a pas de différenciation pour vous dans l’imagerie ?
La sacralisation de l’œuvre d’art qui est pénible. Je m’intéresse autant à un Delacroix, que je vais recouvrir de peinture, qu’à des affiches déchirées, que je vais parsemer de tâches. Dans cette exposition, la publicité est absente mais elle apparaît à travers le cadre. Mon travail passe aussi par là, je détruis les images pour essayer de trouver quelque chose de commun, un lien entre tous les visuels produits depuis le début de l’imagerie. Entre deux personnes, il y a une relation du commun qui s’établit, et je pense que la peinture ne parle que de ça, du commun dans l’humanité.
Aujourd’hui, comment vous sentez vous vis-à-vis de votre art ?
La peinture est un drôle de pari. On puisse dans son égo, on le met sur une toile et on dit aux gens de l’aimer. Il y a un aspect d’un peu névrotique. A une époque c’était compliqué, maintenant j’ai beaucoup de tendresse pour mon travail. Quand je termine une pièce, je m’en détache puis je la regarde et je suis heureux, heureux de l’avoir fait.
Being #1, jusqu’au 25 novembre 2013, à la Percept Gallery
via Le Mauvais Coton