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fécondations au Théâtre l’Élysée

De chaque extrémité de la scène, debout et immobile, un couple s’observe. Une musique électronique, semblable à des sons marins, emplit l’espace. La femme se met à courir et se jette dans les bras de l’homme. La scène se répète, en marche avant, en marche arrière : c’est le début déroutant de la pièce fécondations.

Une pluridisciplinarité au service d'un questionnement

Le spectacle contemporain fécondations, mis en scène et écrit par Adèle Gascuel, se situe à la lisière des arts plastiques et de la musique expérimentale. Cette pièce pour quatre comédiens se déroule dans un décor minimaliste, afin de mettre en avant le questionnement existentiel qui s’y joue. En effet, les quatre personnages sont au bord d’une crise qui se transforme en introspection. Et malgré le caractère individuel de leur quête, ils questionnent les grandes problématiques de notre temps : la société, les normes et la marginalité, mais surtout la folie.

Cet éventail d’interrogations est porté par un texte fort, jouant sans complexe avec les mots. Il est écrit « couche de mots sur couches de mots » : les paroles de chaque personnage forment une couche, presque hermétique, qui vient s’ajouter à celles des autres, créant ainsi une sorte d’escalier verbal. Dans cet ensemble hétérogène, le mot est étiré, transformé, trituré à l’image d’un corps. Il n’est pas seulement support de la parole, il devient matière organique. Il se meut de manière charnelle, selon des rythmes et des espaces induits par la scénographie.

En effet, réalisé par une plasticienne, l’espace scénique devient un laboratoire plastique dans lequel les éléments du décor sont confrontés avec brutalité aux acteurs. Une diagonale coupe l’espace en deux, matérialisant ainsi la frontière entre deux mondes, entre deux univers. À cette ligne se greffent quelques objets (des bouteilles, deux tabourets et un rideau) dispersés dans l’espace. Perché au dessus de la scène, un Dj intervient régulièrement avec une musique synthétique, en résonance avec l’action. La lumière elle aussi est là pour répondre aux jeux des comédiens. Chaque élément se croise de manière sensible, pour créer un ensemble expérimental signifiant.

Des individus égarés, puis libérés

Sur scène, les personnages jouent individuellement ou en couple. L’intrigue se met en place doucement et les relations se dévoilent au fil du découpage : Mitscha le fils, la Mère, Neada la petite amie et le Clodo. Mitscha et Neada forment le premier couple, rapidement engagé dans une lutte passionnelle. Hospitalisé pour folie, Mitscha repousse Neada avec des paroles virulentes et remplies de calembours, mais finit par la délivrer d’elle-même. Animée par un amour charnel, elle ne cesse de lui déclarer ses sentiments, en vue de « se remplir de lui ». Tout devient alors remplissage, physique ou social. Ainsi la Mère, en rendant visite à son fils, tente de remplir ses obligations tandis que le Clodo dans le métro tente de remplir sa vie de sens en se remplissant de vin.

C’est entre cette chambre d’hôpital et ce quai de métro, séparés par un mince rideau, que gravitent les personnages. La diagonale, faite de terre, représente les rails du métro et devient métaphore de l’existence : on attend la prochaine rame, on y monte, on y descend, on y jette son corps comme Mitscha s’est jeté dans la folie. Une folie appuyée par les jeux de lumière : lorsque la lumière est dirigée vers un personnage, elle en souligne la démence ; lorsqu’elle éclaire toute la scène, elle se fait le constat d’une société gangrenée. Cette pourriture se manifeste également avec la matière. Mitscha jette frénétiquement de la farine (substitut de cendres de cigarette), de l’eau et de la peinture qui créent un rapport sensible entre toucher et odorat.

À la fin, le métro est déserté, la chambre abandonnée et tous courent vers un ailleurs en vue de se libérer des chaînes de la société. Face au public, les quatre comédiens laissent échapper leurs derniers mots. Peu à peu la lumière diminue jusqu’à plonger la salle dans le noir. Mais le texte nous absorbe et nous fait oublier que le noir a envahi nos yeux.

Loin de toute narration, la pièce pousse à la réflexion. Portée par un jeu puissant et un texte malicieux, fécondations est un spectacle polymorphe intense.

fécondations, dernière représentation samedi 9 mars, au Théâtre de l’Élysée

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